CATERINA CORNARO
Gaetano Donizetti (1797 - 1848)
Opera in a prologue and two acts in Italian
Libretto: Giacomo Sacchero
Premièr at Teatro San Carlo, Naples – 12 January 1844
15† April 1973
Carnegie Hall, New York
FIRST
PERFORMANCE IN USA
SEMI-STAGED
PERFORMANCE WITH COSTUMES
Orchestra and Chorus of the New Jersey Opera
Conductor: Alfredo SilipigniChorus master: Anthony Manno
Stage director: Franco Gratale
Scene and costumes: F. Julian Boros
Caterina Cornaro LEYLA GENCER soprano
Matilde MARIA DI GIGLIO mezzo-sopranoGerardo GIUSEPPE CAMPORA tenor
Lusignano King of Cyprus GIUSEPPE TADDEI baritone
Mocenigo Ambassador of Venice JAMES MORRIS bass
Andrea Cornaro Caterina’s Father SAMUEL RAMEY bass
Strozzi Head of the Sgherri JOHN SANDOR tenor
A Knight of the King THOMAS PERRI tenor
Time: 1472
Place: Cyprus† Recording date
Performance photos © ERIKA DAVIDSON, New York
THE RIDGEWOOD NEWS
1973.03.14
THE ITEM OF MILLBURN AND SHORT HILLS
1973.03.15
NEWSDAYS
1973.03.18
THE STAR LEDGER
1973.02.25
THE ITEM OF MILLBURN AND SHORT HILLS
1973.03.29
THE RIDGEWOOD NEWS
1973.04.11
THE RIDGEWOOD NEWS
1973.04.12
DAILY NEWS
1973.04.15
LA STAMPA
1973.04.20
HICKORY DAILY RECORD
1973.04.21
THE PRESS SUN
1973.04.22
THE HERALD PALLADIUM
1973.04.23
ST JOSEPH GAZETTE
1973.04.24
STANDART SPEAKER
1973.04.24
THE DAILY REVIEW
1973.04.24
THE BOYTOWN PRESS
1973.04.25
THE SHEBOYGAN PRESS
1973.04.25
THE TIMES AND DEMOCRAT
1973.04.25
THE TIMES RECORD
1973.04.25
BRISTOL HEARLD COURIER
1973.04.26
THE INDEPENDENT RECORD
1973.04.26
THE DAILY TIMES
1973.04.26
WAUSAU DAILY HERALD
1973.04.26
THE CINCINATI ENQUIRER
1973.04.27
SARASOTA HERALD TIMES
1973.04.28
BOZEMAN DAILY CHRONICLE
1973.04.29
UNITOWN EVENING STANDARD
1973.04.30
UNITOWN MORNING STANDARD
1973.04.30
THE MISSISSIPPI PRESS
1973.05.06
YOUNGSTOWN VINDICATOR
1973.05.06
MANITOWAC HERALD TIMES
1973.05.07
JOHNSON CITY PRESS
1973.05.09
KEARNEY HUB
1973.05.09
SYDNEY TELEGRAPH
1973.05.09
BATESVILLE GUARD
1973.05.10
VICKSBURG EVENING POST
1973.05.10
THE ATLANTA JOURNAL
1973.05.11
THE EVENING SUN
1973.05.11
BANGOR DAILY NEWS
1973.05.12
GREENCASTLE BANNER
1973.05.12
THE URBAN DAILY CITIZEN
1973.05.17
BENTON COURIER
1973.05.22
THE DAILY JOURNAL
1973.05.24
THE NEOSHO DAILY NEWS
1973.05.24
THE ASHVILLE TIMES
1973.05.27
WINCHESTER EVENING STAR
1973.06.03
BLUEFIELD DAILY TELEGRAPH
1973.06.11
SANTA BARBARA NEWS PRESS
1973.06.24
FAIRBANKS DAILY NEWS MINER
1973.06.25
THE BURLINGTON FREE PRESS
1973.07.07
THE ALBERT LEA TRIBUNE
1973.07.08
BOONE NEWS REPUBLICAN
1973.11.17
DAILY NEWS
1974.08.02
PRESS TELEGRAM
1974.08.15
CLARION MAGAZINE
1983 May
UN DOSSIER DE YONEL BULDRINI [FORUM OPERA]
2010 April
La dernière Reine de Gaetano Donizetti
« Une fois que
j’aurai vu Caterina Cornaro sur scène, alors je puis mourir. », déclarait un
Suisse passionné de Donizetti au point d’acheter un appartement à Bergame
!... C'est dire combien pouvait
intriguer un opéra tellement beau, mais peu repris depuis sa redécouverte en
1972. Dernier ouvrage créé du vivant de Donizetti, mais composé curieusement en
chassé-croisé avec Don Pasquale et Maria di Rohan, Caterina Cornaro offre
néanmoins une remarquable unité de couleur, étonnante de poésie donizettienne
au plus haut degré de son inspiration. L'occasion de son entrée au Royal
Concertgebouw d'Amsterdam est également celle de confirmer une certitude : il
s'agit bien de l'un des derniers chefs-d'oeuvre du Maestro Bergamasco.
www.forumopera.com
Un dossier de Yonel
Buldrini
© Avril 2010
« Quand le sujet
plaît, le cœur parle, la tête vole, la main écrit… »
Gaetano Donizetti,
À l’époque où il
composait simultanément Don Pasquale et Caterina Cornaro
La Regina di
Cipro entre Don Pasquale et Maria di Rohan
Dans notre précédente étude, consacrée à Dom Sébastien, dernier opéra de Gaetano Donizetti, nous dessinions l’étonnante situation du compositeur en ces années 1842-44, fébrilement engagé entre Vienne, en tant que Compositeur de la Cour impériale et directeur des saisons musicales, et Paris, où il réussissait, au Gran dam de Berlioz, à donner simultanément quatre opéras dans quatre théâtres différents !
Pour connaître la naissance de l’opéra qui nous occupe pour l’heure, la belle Caterina Cornaro, il nous faut le rattraper à l’un de ses retours à Paris, durant le mois de septembre 1842. Alors qu’il s’apprête à s’embarquer à Gênes pour Marseille, le 15, il termine une lettre destinée au célèbre éditeur milanais Giovanni Ricordi, par une injonction bien détachée en fin de lettre : « Sorveglia l’amico Sacchero. » Point n’est besoin de traduction pour comprendre que le librettiste Giacomo Sacchero devait ainsi déjà être attelé à l’écriture de la future Caterina Cornaro. A peine arrivé à Paris, il signe un contrat avec le Théâtre-Italien pour un opéra bouffe (qui sera Don Pasquale) et compose de la nouvelle musique pour la production de sa Linda di Chamounix que ce théâtre va monter en novembre (elle fut créée triomphalement à Vienne le 19 mai). Gaetano va donc mener de front les compositions de Don Pasquale et de La Regina di Cipro, titre initial de Caterina Cornaro, destinée à Vienne, et donc la caricature parue dans un journal parisien de l’époque ne mentait pas, montrant un Donizetti à la grosse tête penchée sur une table et composant fébrilement des deux mains ! (La droite pour les opéras sérieux, la gauche pour les bouffes). Les répétitions de Don Pasquale commencent le 28 novembre et Gaetano pense que la première aura lieu à la fin du mois suivant mais le baryton Tambourin et le ténor Mario tombent malades. La création est repoussée au 3 janvier 1843 et à leurs côtés se trouvent Giulia Grisi et Luigi Lablache, reformant le quatuor prestigieux des créateurs de I Puritani et de Marino Faliero : le succès est immédiat. Avec l’humour qu’on lui connaît, Gaetano décrit ainsi la fin de son année, à son beau-frère bien aimé l’avocat Antonio Vasselli de Rome : « Le 31 du mois de décembre, passa, non de cette vie à une autre, mais d’un côté de la Seine à l’autre, le signor Donizetti pour être nommé membre correspondant de l’Institut de France. », c’est-à-dire de l’Académie royale des Beaux-Arts de l’Institut de France (qui comporte également l’Académie française). Lorsque, dans le vif enthousiasme unanime de ces graves messieurs pour les relations de Donizetti, on lui demanda de devenir Membre à part entière, il refusa avec élégance et émotion, car il lui fallait pour cela abandonner sa nationalité, à laquelle il était naturellement attaché. En attendant, loin de lui Donen rune bouffée d’orgueil, la nouvelle le touche, simplement, comme il l’écrit à l’éditeur Ricordi, terminant sa lettre en français : « Sai che sono nominato a pieni voti al primo scrutinio Socio Corrispondente dell’Institut de France ! Bon cela me fait plaisir. Adieu / ton Donizetti (Tu sais que je suis nommé à l’unanimité au premier scrutin Membre Correspondant de l’Institut de France ! Bon cela me fait plaisir. Adieu / ton Donizetti) ».
Que devient La Regina di Cipro dans tout cela ? Alors qu’il se trouve au beau milieu de la composition de son opéra, Gaetano reçoit de Vienne l’injonction de changer de sujet. La cause en est une curieuse coïncidence : la même saison du « Kärtnerthortheater » [Théâtre de la Porte-de-Carinthie] ou Opéra impérial, comporte la Catharina Cornaro du compositeur allemand Franz Lachner¹ ! [¹Franz Lachner (1803-90), compositeur et chef d’orchestre fut notamment l’auteur de cette Catharina Cornaro (1841) et d’un Benvenuto Cellini (1849). Ses deux frères furent chefs d’orchestre et Ignaz (1807-95) écrivit en 1855 les récitatifs devant remplacer les morceaux parlés de la Médée de Luigi Cherubini.] A regret, Gaetano abandonne alors sa composition, confiant à Giovanni Ricordi : « Povera mia Regina di Cipro — ci pigliavo amore e credo non veniva male : Ma pauvre Regina di Cipro — je l’aimais bien, et je crois qu’elle ne venait pas mal…. On pourrait pour la Scala si Merelli voulait… », Bartolomeo Merelli en étant l’impresario, comme on disait à l’époque pour désigner un directeur d’Opéra. A Paris se reproduisait la situation de Vienne, puisque Fromental Halévy avait donné en 1841 La Reine de Chypre. Quant aux théâtres de Rome, Gaetano préfigure à son beau-frère romain les difficultés que pourrait faire la censure pontificale : « l’opéra fait à moitié, je ne peux même pas te l’emballer pour Rome, car il s’y trouve un Croisé avec la croix sur la poitrine ». Force est de se replier vers un autre sujet, qui sera Il Conte di Chalais, tiré du drame français Un Duel sous le cardinal de Richelieu et qui avait retenu son attention dès 1837, après avoir intéressé Vincenzo Bellini et été mis en musique par deux autres compositeurs en 1839, Giuseppe Lillo et Federico Ricci. Gaetano se fait envoyer le livret de Salvatore Cammarano et l’opéra sera créé dans un autre triomphe viennois, sous le titre bien connu aujourd’hui de Maria di Rohan. Dans une lettre envoyée à Toto, habituel diminutif affectueux désignant son beau-frère Antonio, il établit l’impressionnant programme suivant : « A Vienne je fais Un Duello sotto Richelieu (drame français) ; à Naples Ruy Blas, transposé dans un autre lieu ; à Paris, à l’Opéra-Comique, un sujet flamand. Au Grand Opéra, si cela me revient à la place de Meyerbeer, je traite un sujet portugais en cinq actes. Et tout ceci dans l’année. Et en premier je remonte Les Martyrs qui font fureur en province. Et le printemps suivant, je donnerai l’autre, c’est-à-dire Il Duca d’Alba en quatre actes. » Donizetti ne réalisera pas tout, à commencer par Ruy Blas dont le livret n’arriva jamais : une l’occasion manquée d’une autre rencontre entre les deux génies, puisqu’en 1833 Donizetti avait déjà mis en musique la Lucrèce Borgia de Victor Hugo. Le mystérieux “sujet flamand” pourrait être Ne m’oubliez pas du marquis de Saint-Georges et dont Gaetano composa sept morceaux, probablement vers l’été 1843. Le “sujet portugais” était destiné à être son dernier opéra : Le Duc de Bragance, plus tard intitulé Dom Sébastien roi de Portugal. Quant au Duc d’Albe, il ne sera jamais terminé. On ne parle pas des offres de compositions qui pleuvent, par exemple du Gran Teatro La Fenice, ou celle-ci de Budapest et qui l’amuse, car il s’agit de composer sur un texte hongrois ! Il trouve également l’inspiration pour des pièces sacrées comme un Ave Maria et un Miserere dédiés à l’empereur d’Autriche-Hongrie… dont il écrit, à propos du second morceau et en français : « Oh ! Oh ! - Oui ! - c’est fait ; Il n’est pas mauvais... peut-être je me trompe... tant pis pour moi - Adieu. » Pas mauvais du tout, pourrait-on dire, à l’audition² [²Dans un microsillon Ricordi hors commerce, inclus à un luxueux livre et publiés sous l’égide de la Banca Popolare di Bergamo. Les « Orchestra Sinfonica e Coro di Milano della Radiotelevisione Italiana » étaient placés sous la direction de Gianandrea Gavazzeni. L’exécution eut lieu en public au Teatro Donizetti de Bergame, le15 septembre 1983.] pourtant des trente minutes que dure l’exécution du morceau. On n’y trouve pas l’écho opératique de son Requiem connu, antérieur de quelques années seulement. Ici le recueillement et le style sont complètement religieux. Manipulant les langues avec brio, Gaetano glisse, dans le rude dialecte bergamasque, à son meilleur ami Antonio Dolci : Ouf ! une polenta avec des oiseaux me guérirait immédiatement », faisant allusion à cette fameuse recette de farine de maïs cuite dans de l’eau, et pouvant accompagner de la viande en sauce. Ce besoin de souffler ne l’empêchera pas de retrouver sa bonne humeur (peut-être avec l’aide d’un ersatz viennois de polenta !), glissant, dans des lettres futures, des expressions allemandes et allant même jusqu’à germaniser sa signature en Gaetan von Donizetti.
Mais il nous faut revenir à Ruy Blas pour aboutir à Caterina Cornaro.
La Regina di Cipro sauve Ruy Blas
Dans notre précédente étude, consacrée à Dom Sébastien, dernier opéra de Gaetano Donizetti, nous dessinions l’étonnante situation du compositeur en ces années 1842-44, fébrilement engagé entre Vienne, en tant que Compositeur de la Cour impériale et directeur des saisons musicales, et Paris, où il réussissait, au Gran dam de Berlioz, à donner simultanément quatre opéras dans quatre théâtres différents !
Pour connaître la naissance de l’opéra qui nous occupe pour l’heure, la belle Caterina Cornaro, il nous faut le rattraper à l’un de ses retours à Paris, durant le mois de septembre 1842. Alors qu’il s’apprête à s’embarquer à Gênes pour Marseille, le 15, il termine une lettre destinée au célèbre éditeur milanais Giovanni Ricordi, par une injonction bien détachée en fin de lettre : « Sorveglia l’amico Sacchero. » Point n’est besoin de traduction pour comprendre que le librettiste Giacomo Sacchero devait ainsi déjà être attelé à l’écriture de la future Caterina Cornaro. A peine arrivé à Paris, il signe un contrat avec le Théâtre-Italien pour un opéra bouffe (qui sera Don Pasquale) et compose de la nouvelle musique pour la production de sa Linda di Chamounix que ce théâtre va monter en novembre (elle fut créée triomphalement à Vienne le 19 mai). Gaetano va donc mener de front les compositions de Don Pasquale et de La Regina di Cipro, titre initial de Caterina Cornaro, destinée à Vienne, et donc la caricature parue dans un journal parisien de l’époque ne mentait pas, montrant un Donizetti à la grosse tête penchée sur une table et composant fébrilement des deux mains ! (La droite pour les opéras sérieux, la gauche pour les bouffes). Les répétitions de Don Pasquale commencent le 28 novembre et Gaetano pense que la première aura lieu à la fin du mois suivant mais le baryton Tambourin et le ténor Mario tombent malades. La création est repoussée au 3 janvier 1843 et à leurs côtés se trouvent Giulia Grisi et Luigi Lablache, reformant le quatuor prestigieux des créateurs de I Puritani et de Marino Faliero : le succès est immédiat. Avec l’humour qu’on lui connaît, Gaetano décrit ainsi la fin de son année, à son beau-frère bien aimé l’avocat Antonio Vasselli de Rome : « Le 31 du mois de décembre, passa, non de cette vie à une autre, mais d’un côté de la Seine à l’autre, le signor Donizetti pour être nommé membre correspondant de l’Institut de France. », c’est-à-dire de l’Académie royale des Beaux-Arts de l’Institut de France (qui comporte également l’Académie française). Lorsque, dans le vif enthousiasme unanime de ces graves messieurs pour les relations de Donizetti, on lui demanda de devenir Membre à part entière, il refusa avec élégance et émotion, car il lui fallait pour cela abandonner sa nationalité, à laquelle il était naturellement attaché. En attendant, loin de lui Donen rune bouffée d’orgueil, la nouvelle le touche, simplement, comme il l’écrit à l’éditeur Ricordi, terminant sa lettre en français : « Sai che sono nominato a pieni voti al primo scrutinio Socio Corrispondente dell’Institut de France ! Bon cela me fait plaisir. Adieu / ton Donizetti (Tu sais que je suis nommé à l’unanimité au premier scrutin Membre Correspondant de l’Institut de France ! Bon cela me fait plaisir. Adieu / ton Donizetti) ».
Que devient La Regina di Cipro dans tout cela ? Alors qu’il se trouve au beau milieu de la composition de son opéra, Gaetano reçoit de Vienne l’injonction de changer de sujet. La cause en est une curieuse coïncidence : la même saison du « Kärtnerthortheater » [Théâtre de la Porte-de-Carinthie] ou Opéra impérial, comporte la Catharina Cornaro du compositeur allemand Franz Lachner¹ ! [¹Franz Lachner (1803-90), compositeur et chef d’orchestre fut notamment l’auteur de cette Catharina Cornaro (1841) et d’un Benvenuto Cellini (1849). Ses deux frères furent chefs d’orchestre et Ignaz (1807-95) écrivit en 1855 les récitatifs devant remplacer les morceaux parlés de la Médée de Luigi Cherubini.] A regret, Gaetano abandonne alors sa composition, confiant à Giovanni Ricordi : « Povera mia Regina di Cipro — ci pigliavo amore e credo non veniva male : Ma pauvre Regina di Cipro — je l’aimais bien, et je crois qu’elle ne venait pas mal…. On pourrait pour la Scala si Merelli voulait… », Bartolomeo Merelli en étant l’impresario, comme on disait à l’époque pour désigner un directeur d’Opéra. A Paris se reproduisait la situation de Vienne, puisque Fromental Halévy avait donné en 1841 La Reine de Chypre. Quant aux théâtres de Rome, Gaetano préfigure à son beau-frère romain les difficultés que pourrait faire la censure pontificale : « l’opéra fait à moitié, je ne peux même pas te l’emballer pour Rome, car il s’y trouve un Croisé avec la croix sur la poitrine ». Force est de se replier vers un autre sujet, qui sera Il Conte di Chalais, tiré du drame français Un Duel sous le cardinal de Richelieu et qui avait retenu son attention dès 1837, après avoir intéressé Vincenzo Bellini et été mis en musique par deux autres compositeurs en 1839, Giuseppe Lillo et Federico Ricci. Gaetano se fait envoyer le livret de Salvatore Cammarano et l’opéra sera créé dans un autre triomphe viennois, sous le titre bien connu aujourd’hui de Maria di Rohan. Dans une lettre envoyée à Toto, habituel diminutif affectueux désignant son beau-frère Antonio, il établit l’impressionnant programme suivant : « A Vienne je fais Un Duello sotto Richelieu (drame français) ; à Naples Ruy Blas, transposé dans un autre lieu ; à Paris, à l’Opéra-Comique, un sujet flamand. Au Grand Opéra, si cela me revient à la place de Meyerbeer, je traite un sujet portugais en cinq actes. Et tout ceci dans l’année. Et en premier je remonte Les Martyrs qui font fureur en province. Et le printemps suivant, je donnerai l’autre, c’est-à-dire Il Duca d’Alba en quatre actes. » Donizetti ne réalisera pas tout, à commencer par Ruy Blas dont le livret n’arriva jamais : une l’occasion manquée d’une autre rencontre entre les deux génies, puisqu’en 1833 Donizetti avait déjà mis en musique la Lucrèce Borgia de Victor Hugo. Le mystérieux “sujet flamand” pourrait être Ne m’oubliez pas du marquis de Saint-Georges et dont Gaetano composa sept morceaux, probablement vers l’été 1843. Le “sujet portugais” était destiné à être son dernier opéra : Le Duc de Bragance, plus tard intitulé Dom Sébastien roi de Portugal. Quant au Duc d’Albe, il ne sera jamais terminé. On ne parle pas des offres de compositions qui pleuvent, par exemple du Gran Teatro La Fenice, ou celle-ci de Budapest et qui l’amuse, car il s’agit de composer sur un texte hongrois ! Il trouve également l’inspiration pour des pièces sacrées comme un Ave Maria et un Miserere dédiés à l’empereur d’Autriche-Hongrie… dont il écrit, à propos du second morceau et en français : « Oh ! Oh ! - Oui ! - c’est fait ; Il n’est pas mauvais... peut-être je me trompe... tant pis pour moi - Adieu. » Pas mauvais du tout, pourrait-on dire, à l’audition² [²Dans un microsillon Ricordi hors commerce, inclus à un luxueux livre et publiés sous l’égide de la Banca Popolare di Bergamo. Les « Orchestra Sinfonica e Coro di Milano della Radiotelevisione Italiana » étaient placés sous la direction de Gianandrea Gavazzeni. L’exécution eut lieu en public au Teatro Donizetti de Bergame, le15 septembre 1983.] pourtant des trente minutes que dure l’exécution du morceau. On n’y trouve pas l’écho opératique de son Requiem connu, antérieur de quelques années seulement. Ici le recueillement et le style sont complètement religieux. Manipulant les langues avec brio, Gaetano glisse, dans le rude dialecte bergamasque, à son meilleur ami Antonio Dolci : Ouf ! une polenta avec des oiseaux me guérirait immédiatement », faisant allusion à cette fameuse recette de farine de maïs cuite dans de l’eau, et pouvant accompagner de la viande en sauce. Ce besoin de souffler ne l’empêchera pas de retrouver sa bonne humeur (peut-être avec l’aide d’un ersatz viennois de polenta !), glissant, dans des lettres futures, des expressions allemandes et allant même jusqu’à germaniser sa signature en Gaetan von Donizetti.
Mais il nous faut revenir à Ruy Blas pour aboutir à Caterina Cornaro.
La Regina di Cipro sauve Ruy Blas
Caterina ou plutôt La Regina di Cipro abandonnée, on attend le livret du Ruy Blas pour le San Carlo… qui n’arrive toujours pas. On n’explique pas ce retard de l’efficace Salvatore Cammarano, grand « poeta » de la librettistique romantique italienne, d’autant que le sujet avait reçu l’approbation de la censure en date du 5 septembre 42, nous Précise William Ashbrook³. [³In : Donizetti — La Vita, trad. italienne de Fulvio Lo Presti, E.D.T. Edizioni di Torino, 1986.] On sait quels tracas avait dû encourir Hugo à Paris, avec une censure pourtant moins pointilleuse que celle des Bourbons de Naples, qui sévit sur le pauvre Ruy Blas « masqué sous le titre de Folco Melian et l’action transférée ailleurs »⁴ ! [⁴W. Asbrook op. cit. ] On s’en compte en découvrant le livret repris plus tard par le compositeur Nicola De Giosa (1819-85), sous le titre bien travesti de Folco d’Arles, avec la reine d’Espagne devenant « Contessa di Provenza » !
Gaetano va alors tenter une action, comme il l’explique le 14 février 1843 à son ami Antonio Dolci : « j’attends de Naples le poème [le livret]. J’ai néanmoins écrit là-bas demandant s’ils accepteraient de rompre le contrat, mais je crains que non, et ainsi il conviendra d’aller à Naples en juillet, et de courir ensuite à Paris pour le mois d’août. – Au milieu des fatigues je me trouve bien, les voyages ne me tuent pas. – J’ai de temps en temps mon habituelle fièvre qui me rend visite, mais elle ne dure pas plus de 24 heures, sa force me laisse abattu pour quelque temps, et puis, à nouveau au travail, et avec plus d’ardeur. » Gaetano dut réitérer sa demande de libération du contrat, puisque le 15 mai, l’impresario ou directeur du Teatro San Carlo, Vincenzo Flauto, lui dit répondre aussitôt à sa lettre du 1er de ce mois. Ses arguments sont intéressants car, au-delà d’une diplomate flatterie, ils permettent de découvrir en quelle estime on tenait Donizetti en Italie : « Il s’agit cher ami d’une chose ne tenant pas de la farce, mais d’une compromission avec la Direction et avec le public ; il ne s’agit pas de remplacer un compositeur car vous en trouvez, à profusion en tout lieu, mais il s’agit de remplacer un Donizetti, et si vous ne vous connaissez pas vous-même, les autres le connaissent, je fais partie du nombre de ceux-ci. » L’Impresario poursuit en concluant sur Ruy Blas : « Donc ne parlons plus du livret de Cammarano. Que votre opéra soit Caterina Cornaro. Mais quand recevrai-je la partition, ou au moins le livret afin de le faire approuver par les censeurs ? ». On comprend ainsi que Gaetano avait prévu de reprendre la composition de La Regina di Cipro —devenue désormais Caterina Cornaro, au cas où le San Carlo aurait refusé de le libérer de son contrat. Du reste, le même Vincenzo Flauto connaissait le sujet puisqu’il poursuit : « J’ai lu le plan de l’opéra, et voici ce qu’il conviendra d’enlever pour le faire approuver par la Censure. L’empoisonnement du Roi. L’habit de Croisé de Gerardo. Ces choses sont interdites par principe. » Il insiste ensuite sur la nécessité de la présence de Donizetti, en signalant que la Direction ne serait pas heureuse d’économiser cinq-cents ducats sur son absence (le compositeur n’assistant pas la création recevait deux mille ducats seulement). La censure ayant ses exigences et Sacchéro résidant à Milan, c’est Salvatore Cammarano qui assurera sur place, à Naples, les aménagements nécessaires, comme l’expliquera l’impresario Flauto dans une lettre plus tardive. Au moment du choix du librettiste l’année précédente, Cammarano était indisponible et Donizetti s’était tourné vers Giacomo Sacchéro. Si ce dernier est aujourd’hui peu connu comme librettiste, c’est probablement à cause du fait que les vingt-etun opéras dont il écrivit les livrets ne font pas partie des plus représentés ni connus. Il jouissait pourtant d’une certaine notoriété à son époque, facilement déductible de ce qu’écrivait Donizetti à propos des librettistes obligés selon les lieux, passant en revue les principaux poeti du temps, comme on disait alors, et dont nous ajoutons les prénoms afin de les mieux rappeler aux amateurs. « Dans les principales villes, écrit-il à son grand ami bergamasque Antonio Dolci, il y a toujours des poeti engagés par les Directions, qui vous sont imposés, et vous ne pouvez obtenir de poemi [de livrets] que de ceux-ci ; à moins que vous ne leur substituiez un nom connu : à Naples [Salvatore] Cammarano ; à Milan [Giacomo] Sacchèro, [Gaetano] Rossi, [Temistocle] Solera, [Calisto] Bassi…. A Turin [Felice] Romani ; à Rome [Jacopo] Ferretti ; à Venise se trouve un Avocat dont je ne me rappelle pas le nom etc. » Giacomo Sacchéro est né à Catane comme Bellini et Giovanni Pacini ; ce patriote de l’unité italienne dut s’exiler du très conservateur Royaume des DeuxSiciles. Lors du bouillonnement révolutionnaire des années 1848 il publia nombre d’articles pétris d’ « idées de liberté, d’indépendance, et d’amour de la patrie »5. [5 Francesca M. Lo Faro, « Librettista, botanico e patriota », in : Catania Provincia (www.provincia.ct.it/informazioni/la-rivista/sommario/2008/.../p_10-11.pdf ). Un ouvrage lui fut récemment consacré : Giacomo Sacchero — Un librettista catanese alla Scala di Milano, publié par Giovanni Pasqualino auprès de la Bastogi Editrice italiana en 2009.] Lorsque l’unité sera proclamée, il sera élu comme député du nouveauRoyaume d’Italie. Pour étrange que ce soit, son activité fut plutôt connue comme celle d’un botaniste ! Professeur d’horticulture à l’université de Catane, il publia des écrits sur la botanique, un volume sur l’eucalyptus, participa à des congrès et expositions (à Dublin notamment, il présenta des tissus d’un coton cultivé en Sicile). Il fit partie de commissions nationales pour étudier notamment la maladie des agrumes. Il disparut en 1874 ou 75, laissant à son fils la villa dont le vaste et unique jardin botanique privé de Catane, dans la rue qui porte son nom, dresse encore aujourd’hui ses hauts murs. Il fut le narrateur de belles histoires typiques du melodramma romantique, dans ses livrets pour Alessandro Nini (revenu à la lumière grâce à la reprise de La Marescialla d’Ancre) : Margarita di York (1841), Odalisa (1842) et Il Corsaro (1847). Il devait donner à Luigi Ricci le livret de son opéra le plus connu : Corrado di Altamura (Teatro alla Scala, 1841), écrivant pour son frère Federico Vallombra (Scala 42). Le même théâtre devait créer en 1844 L’Ebrea (La Juive) de Giovanni Pacini, dont il écrivit le livret. Pour le compositeur Matteo Salvi, concitoyen et élève affectionné de Donizetti, passé à la postérité pour avoir terminé Il Duca d’Alba, il adapta le sujet hugolien de I Burgravi (Teatro alla Scala, 1845). Il écrivit aussi le « melodramma giocoso » La Cantante (1841) pour Gualtiero Sanelli (181661), au curieux destin de compositeur, chef d’orchestre, ténor à la belle voix, mais aussi critique musical. Malheureusement atteint de troubles mentaux, ce dernier devait sombrer dans la folie et mourir au Brésil où il était engagé, selon la belle expression consacrée, en tant que « maestro concertatore e direttore d’orchestra ». Giacomo Sacchéro écrivit également I Luna e i Perollo (1844) pour Pasquale Bona (1808-78), professeur de Ponchielli, Boito, Catalani, Franco Faccio et compositeur notamment d’un Don Carlo (1847). Dans l’unique lettre nous restant de sa correspondance avec Donizetti, ce dernier lui demande (le 9 mars) des modifications précises qui nous révèlent sa conception de la mise en musique d’un sujet. C’est la situation dramatique, ce qui se passe sur scène, qui doit dicter les paroles adaptées. Pour chaque situation, le compositeur indique les sentiments qui animent les personnages et précise le type de morceau musical (air, duo...) qu’il désire à ce moment. Il élabore également un découpage dramatique, déterminant l’instant de la chute du rideau et des changements de décor. C’est à la fin de cette lettre qu’intervient ce qu’il nomme lui-même sa devise, venant clore les lèvres de ceux qui dénigrèrent sa musique en apparence si facilement composée. Elle résume la manière dont son inspiration déployait ses intarissables dons mélodiques : « Sai la mia divisa ? Presto ! : Tu connais ma devise ? Vite ! Cela peut être blamable, mais ce que j’ai fait de bon, a toujours été fait vite ; et de nombreuses fois le reproche de négligence tomba sur ce qui m’avait coûté le plus de temps. »
Venant compléter cette maxime donizettienne, est la belle phrase du cœur qui parle, contenue dans une lettre où il explique au bon Dolci de Bergame qu’on l’avertit de Vienne de la présence à l’affiche d’un opéra sur le même sujet que sa Regina di Cipro. Avec le recul qui caractérisait son regard sur lui-même, il poursuit ainsi : « Sans me décourager, j’écris à Milan, je fais venir un livret déjà fait par Cammarano à Naples avec une musique d’aucun succès [Il Conte di Chalais aussi nommé Un Duello sotto Richelieu], et je comparaîtrai à Vienne avec deux opéras, afin que si celui que l’on veut donner maintenant en allemand ne plaisait pas, je puisse leur laisser le choix : il n’y aura pas pénurie d’opéras de cette façon. « Ensuite, je retourne à Naples pour un autre et je cours aussitôt à paris pour un autre à l’Opéra-Comique. – C’est étrange, il est vrai, une telle existence ? Mais, sais-tu qu’en 24 heures j’ai fait deux actes (non instrumentés, n’est-ce pas !) ? Quand le sujet plaît, le coeur parle, la tête vole, la main écrit.... Cela n’empêche pas qu’au milieu de ça je ferai le petit Miserere pour S. M. l’Empératrice à laquelle je l’ai promis. »
Les « opérations chirurgicales » de Caterina Cornaro Il prend particulièrement à coeur Caterina qu’il termine à la fin du mois de mai, comme le témoigne une lettre adressée à l’ami Pedroni de la Casa Ricordi. On suppose la date de départ au 25 mai, l’arrivée à Milan portant celle du 30. Gaetano écrit —en français— : « J’ai envoyé à Naples le 2.d et 3. /me acte de Caterina, dans peu de jours le 1. /r s’en ira aussi. – Après, je me donne tout à fait au Duc de Braganza que la Reine de Portugal accepte déjà en dédicace. » (Ce titre mystérieux désignait initialement Dom Sébastien Roi de Portugal). Quant au « premier acte » dont il lui reste à faire l’instrumentation, il s’agit en fait du prologue de l’opéra. Les lettres de cette époque témoignent de la préoccupation du compositeur, certainement due au fait qu’il ne devait pas assister pas à la première. Ainsi, il n’hésite pas à faire les mêmes recommandations à ses deux meilleurs amis napolitains, Tommaso Persico et le peintre Teodoro Ghezzi, en lesquels il place sa confiance au point d’envoyer au premier partitions et texte du livret. C’est notamment avec lui qu’il s’écrie : “Non ! par le Christ ! pas la Bischop - Tu te f. de moi ? Mais tu sais qu’ici elle a fait rire les pierres avec son “tamburello”. » Avec ce mot sympathique signifiant tambourin, il évoque le tremblement excessif de la voix de la cantatrice Anna Bishop. Du reste, quant au choix des chanteurs par l’Impresario Flauto du San Carlo, il confie au peintre Ghezzi : « il me semble que Flauto perd la tête, promettant des rôles à qui en veut, sans réfléchir aux conditions déjà établies avec les compositeurs. – Du reste je vois bien que parmi toutes ces divergences, qui s’en ira en l’air, c’est-àdire sous terre, sera mon opéra, pauvre innocente victime – N’importe, je la ferai donner, quand je saurai de votre jugement l’accueil de Naples, et alors à Vienne, et dirigée par moi, et retouchée où vous me direz qu’elle ne vous plaît pas, elle renaîtra à une nouvelle vie loin des griffes de la Direction [du Teatro San Carlo], et des conflits. – En attendant pour trouver en moi la force, et supporter les opérations chirurgicales qui seront faites à Caterina à Naples, ou du point de vue de l’insuffisance, ou de celui de l’impuissance, je vais me confortant avec les succès de Paris – en 24 heures deux opéras nouveaux pour Paris – Dom Sébastien en 5 actes et Marie de Rohan aux Italiens en 3 actes. - Te dire lequel des deux a plu davantage, je ne le saurais. » On apprécie la plaisante métaphore mi-ironique mi-amère des « opérations chirurgicales qui seront faites à Caterina », traduisant la réalité d’une bataille constante —et lassante— avec les censeurs. Gaetano semble ainsi tenir particulièrement à la croix sur la poitrine de Gerardo qui, dans le désespoir d’avoir perdu Caterina se fait Croisé. A Persico, qu’il surnomme affectueusement Caro Tommasone , il écrit : « Recommande pour la Révision qu’elle passe quelque chose, c’est-à-dire la Croix [suit un dessin de la croix de Malte] en cette manière sur la poitrine de Gerardo, et le poison à Lusignano qui n’offense qui que ce soit ». Avec Ghezzi —cette fois Caro Teodorone— il va plus loin dans les commentaires : « Recommande à quiconque tu connaisses dans tes remations avec les Réviseurs que le livret soit le moins possible retouché. – Il faut une Croix sur la poitrine du Ténor ; eh bien, il me semble qu’ainsi [suit un dessin de la croix de Malte] ce ne serait pas grand-chose à se permettre, du moment que cela ne représente pas le saint bois [suit un dessin de la Croix du Christ]. – Si on veut trouver une difficulté également sur le Roi empoisonné par une République [celle de Venise voulant dominer Chypre], je crois au contraire que cela sert à faire haïr cette dernière ; et puis le roi en question n’appartient en parenté à qui que ce soit, aussi personne ne devrait se fâcher ». Une explication est nécessaire afin de comprendre l’allusion à l’affaire Maria Stuarda, opéra infortuné, frappé d’interdiction, au même San Carlo, seulement le soir de la répétition générale ! La reine de Naples, qui y aurait assisté, serait en effet tombée évanouie en voyant son aïeule écossaise se confesser sur scène !... D’où l’allusion de Geatano au Roi Lusignan de Chypre non apparenté à une quelconque tête régnante. Il poursuit sa lettre par une autre allusion intéressante, concernant le bel opéra de clair-obscur que représente Maria Padilla, offrant aujourd’hui par la faute de la censure, une finale gaie, où tout s’arrange in extremis, alors que Donizetti avait en tête le suicide spectaculaire et inattendu de la maîtresse du roi devant toute la cour et la fiancée française de ce dernier. Gaetano avait de plus limité les dégâts, si l’on peut dire, car la censure proposait que Maria, au lieu de se suicider, meure de joie ! Le compositeur trancha la question en subtituant carrément un final gai dans lequel le roi honore ses promesses de mariage avec la belle Maria Padilla. On appréciera l’auto-citation de sa phrase ironique concernant l’éthique, c’est-à-dire le malheureux se consumant de fièvre hectique ! « – pourtant, après la terrible leçon de Padilla, j’ai dit : En dernier lieu faites-en un étique, proche de se consumer…. Si malgré cela ils s’en prennent aussi au vouloir divin alors, que leur volonté soit faite. J’indique et je prie pour le livret, vu que je suis prêt à retirer mon opéra si je dois le voir sacrifié comme Padilla, dans laquelle à l’endroit où l’on disait auparavant quale orror [quelle horreur], on y avait substitué oh gioia estrema [oh joie extrême] avec la même musique : j’y ai peiné [Donizetti emploie la forme verbale travagliato, signifiant les souffrances de l’enfantement !], et consciencieusement et je ne voudrais, par le caprice de quelques-uns, ou par malignité, voir devenu ridicule un sujet intéressant - Ceci entre dans l’intérêt de l’Impresa [la Direction], et j’espère qu’elle y prendra une part active. » Il ne parle bien sûr pas que des détails de mise en scène et insiste sur des précisions musicales quant à l’interprétation de certains morceaux et cela nous fournit autant de commentaires passionnants. On a ainsi deux instructions de tempo montrant l’importance de l’exécution, qui doit seconder l’inspiration : à Tommaso Persico, d’abord : « Je te recommande le Duo de l’acte II des deux hommes moderato mosso et la stretta, et à deux temps la stretta du quatuor qui finit le 2e acte. » A Teodoro Ghezzi ensuite : « De ton côté, demande, si on doit le [l’opéra] donner dans l’immédiat, que soit faite la plus scrupuleuse attention aux ritardandi, crescend. Accelerand. etc. car de cela naissent les couleurs ; la lumière ; les ombres. »
Quant à son beau-frère Toto Vasselli, c’est en quelques vers badins qu’il lui fait sa recommandation ultime et nous laissons l’italien original pour la rime :
« Tu mi darai le
nuove della mia Caterina
Tanto se sale in
aria, come se va in cantina. »
« Tu me donneras des nouvelles de ma Caterina / Autant si elle s’élève en l’air, que si elle descend à la cave. »
Enfin, la grande recommandation musicale concerne un compositeur estimé, établi à Naples et certainement bien content de savoir un Donizetti plus aimé que lui par le public, loin de son territoire : Saverio Mercadante. Précisément, Gaetano, ne voyant pas le mal (n’en faisant pas lui-même), recommande à Persico « de prier Mercadante, si quelque inconvénient survenait dans les répétitions, si une chose n’était pas bien instrumentée, ou serait trop faible ou trop forte, de m’aider comme s’il s’agissait de l’un de ses opéras. » A propos du maestro Mercadante, nous verrons plus loin que tout le monde n’était peut-être pas aussi altruiste que Gaetano, qui notamment soigna à Vienne la production de I Due Foscari du jeune Verdi qu’il estimait…
La fin de l’année 1843 arrive, et avec elle la nécessité de retourner à Vienne. Le 6 janvier 1844, il décrit ainsi son voyage au cher Toto Vasselli : « Mon voyage de dix jours fut un peu ennuyeux : seul en voiture, courant quinze ou seize heures par jour, avec des routes très mauvaises et par un froid certain, tu comprendras que l’on ne peut pas beaucoup se divertir. Enfin je suis arrivé le 30 » Il explique ensuite qu’il a officialisé son retour auprès des “antichambres impériaux” puis poursuit : « A présent je me divertis, car je ne travaille pas. J’ai besoin de repos. Après les deux opéras à Paris, je fus mis au sirop de digitale à raison de quatre cuillérées par jour : cela m’a fait du bien, mais ensuite j’ai cessé car je vais mieux. Quelle différence entre Paris et Vienne : là tout est agitation, ici tout est calme. Je t’assure qu’après de si fortes émotions la quiétude germanique est un réconfort pour moi. Qu’elle fût éternelle m’importunerait ; mais pour l’heure, elle m’est un baume. » La suite de la lettre est stupéfiante par les termes employés à propos de la création de Caterina Cornaro : « J’attends avec anxiété les nouvelles du fiasco de Caterina Cornaro à Naples. La Goldberg en tant que prima donna est la première cause de ma ruine sans le savoir. J’ai composé pour un soprano, ils me donnent un mezzo ! Dieu sait si Coletti, si Fraschini comprennent leur rôle comme moi je les ai compris ; Dieu sait quel carnage a fait la censure. Et tandis que je passe de doute en doute, de crainte en crainte, je crois que l’opéra ne soit déjà jugé… Sic transit gloria mundi. » Curieuse intuition que ces pensées, à propos de la première désormais toute proche du 14 janvier… Apparemment le danger du « tamburello Bischop » écarté, la remplaçante Fanny Goldberg en représente un autre, concernant la tessiture. Le baryton Filippo Coletti et le ténor Gaetano Fraschini étaient, quant à eux, des chanteurs confirmés, mais le « Maître » (c’est le cas de le dire : maestro !) n’était pas présent, et l’on comprend ses doutes… Gaetano connaissait pourtant le ténor Fraschini —dont le nom glorieux illumine encore aujourd’hui le Théâtre de sa ville natale de Pavie— comme on peut le voir dans un bref mais intéressant commentaire contenu dans une lettre du 17 avril 1844 adressée à Léon Pillet, directeur de l’Opéra de Paris. Ce dernier étant soucieux d’obtenir un autre ténor estimé de l’époque, Italo Gardoni, Gaetano proposait obligeamment d’intervenir auprès du redoutable Merelli, impresario de l’Opéra italien de Vienne, afin qu’il libère le chanteur de son contrat. Le français de Donizetti est un peu affecté mais fort correct pour un étranger et que nous nous abstenons de le parsemer des éventuels « (sic) » consacrés : « Je ne peux pas comprendre comment vous avez donné la preference à Gardoni sur Fraschini : ce dernier crie c’est vrai, mai dans quelque situation de force, sa voix fait de l’effet, et l’on peut toujours lui dire chantez piano, tandis que l’autre ne pourra jamais avoir autant de sonorité dans la voix. Cela vous régarde. »
Avec son ami Tommaso Persico de Naples, il se montre préoccupé même du rôle, un peu secondaire mais essentiel tout de même, du sombre ambassadeur de Venise à Chypre : « la bonne basse que vous avez, je l’espère capable pour Mocenico, et je vous le recommande. »
Prévue en juillet 1843, la première de Caterina Cornaro est renvoyée au mois de janvier suivant, pour une raison qui nous échappe encore... Il s’agira de la première création survenue en l’absence du compositeur, et de la dernière effectuée de son vivant.
La première malheureuse
« Je suis tellement
têtu que je veux l’entendre,
Je veux la voir et
juger moi-même
S’il est vrai que la
musique est indigne de moi ».
G. Donizetti
Le 18 janvier 1844, Caterina Cornaro est mal accueillie au Teatro San Carlo de Naples. Plutôt que forger déjà des hypothèses, laissons la parole à Gaetano en personne. Dans une lettre à son ami Teodoro Ghezzi, datée du 31 janvier, il semble en effet reprendre point par point une série d’accusations honteuses apparemment consécutives à la mauvaise réception de Caterina. On y sent toute la dignité offensée dans sa conscience professionnelle :
« Un échec ? Et que ce soit donc un échec ! Mais que l’on dise que cette musique n’est pas mienne, ou que je l’ai faite en dormant, ou par vengeance contre l’Impresa [la Direction], non ! J‘en assume toute la responsabilité, la faute et le châtiment. Pourquoi l’aurais-je fait composer par d‘autres ? N’ai-je donc pas eu le temps ? Pourquoi en dormant ? Est-ce que je ne travaille pas avec facilité ? Par vengeance ? Pouvais-je, moi, être ingrat envers un public qui m’a toléré pendant tant d’années ? Non ! Il se peut que le génie, la pratique, le goût m’aient trompé ou m’aient complètement fait défaut ; mais que je m’abaisse à des choses viles, à des fourberies cachées, jamais ! Pour les réminiscences ? Eh mon Dieu ! [En français dans le texte] et qui n’en fait pas ? … Quant à voler (et ce qui est pire, sans le vouloir), et qui ne vole pas ? … Note bien que je n’entends pas le moins du monde me justifier ; je répète que j’en assume toute la responsabilité. J’aurais cru que différents morceaux ne méritaient pas tout le blâme qui a éclaté, que dans les duos, le quatuor etc… mais à quoi sert à présent d’en parler ? Je ne fais que verser du nouveau sang de la plaie… Si un jour cette partition revenait entre mes mains, je donnerai une preuve aux Napolitains que j’obéis à leurs conseils ; ce fut donc de ma part une erreur de croire cette musique non indigne de leur indulgence. Je renouvelle à Mercadante mes plus vifs remerciements. » Il termine avec philosophie par : « Les amis, que tu salueras, en seront affligés, mais qu’y faire… Je le suis, moi et pour tous. »
Marco Beghelli vient confirmer le climat de malveillance entourant la naissance de la pauvre Caterina : « plutôt que la musique peu enthousiasmante, la détérioration de la l’issue globale de la soirée fut probablement une série de rumeurs malveillantes qui circulaient en ces jours à Naples, alimentées par l’inhabituelle absence de l’auteur sur place (cela ne lui était jamais arrivé, dans toute sa carrière), des rumeurs diffusées jusque dans les journaux locaux et qui blessèrent Donizetti plus que les critiques sur la qualité de son travail »⁶ [⁶ L’ultimo debutto di Donizetti, plaquette de l’enregistrement Bongiovanni de Caterina Cornaro.]
Au même Teodoro Ghezzi, Gaetano confie encore : « Je comprends parfaitement de quel et de combien de déplaisir tu as dû être la victime dans la chute de Caterina Cornaro ; j’ai mille preuves de ta bonté, et ta peine a trouvé un écho bien profond dans mon cœur. – Un opéra peut très bien ne pas plaire au public, mais que l’on dise que moi, ou pour l’argent, ou pour une basse vengeance seulement, j’aie pu faire une musique méprisable, cela jamais ! » ; mais Gaetano ne se résigne pas : « Crois-tu que moi, j’en abandonne la partition ? Non ! La stretta de l’Introduction ne plut pas ? Je la referai – De ton côté, donne-moi et au plus tôt un compte rendu exact des morceaux qui furent désapprouvés, comme aussi de ceux qui furent les plus incommodes pour la Goldberg, tu diras peut-être tout fait mal ; mais même dans le mal il y a le pire – N’use pas de délicatesse, car le fiasco te donne le droit, et plus encore l’amitié : - je verrai si je pourrai refondre la chose puisque je te confesse que je ne la croyais pas aussi infâme – Dis cependant où cela manque d’effet, où c’est court, long, où sont les réminiscences, les défauts du Livret etc. Tout, je voudrais tout savoir, et au plus vite : J’éprouve plus que jamais de la douleur pour la chère madame G. Sterlich… je puis dire comme la Straniera « Et serai-je né sous le ciel pour toujours faire des mystères ? » - Dis-lui que je la remercie de tout cœur, et puisse ma reconnaissance lui soulager la peine que je lui ai procurée innocemment. Qui donc peine durant des mois pour obtenir ensuite du mépris ? – Les apôtres des beaux-arts ne devraient pas avoir ceux qui sentent, et partagent es plaisirs et les peines avec eux ! Sans le vouloir, ils font des malheureux – Que puis-je dire ? Que peut dire un cœur comme le mien, qui ressent sa peine, et trouve encore des larmes et de la reconnaissance pour ceux qui partagent avec lui la souffrance ? – Oh ! Si j’avais un baume pour vous faire oublier ce qui est advenu, pour transporter en moi toute votre souffrance...»
Après avoir rappelé à nouveau « A Mercadante qui a tant fait, j’ai déjà écrit », il conclut : « Salue qui n’est pas en colère avec moi, qui ne m’en veut pas, et crois bien que ma peine surpasse celle de tous les Amis. »
La catastrophe avait du reste été pressentie par Donizetti, comme on l’a vu dans une lettre adressée à son beau-frère bien-aimé Toto Vasselli, et dans cette autre encore, expliquant que le baryton Varesi désireux de chanter le rôle du roi avait même offert cravate et gilet au bon Gaetano, qui conclut avec humour : « Quelle misère que de vivre sur les épaules d’autrui ! ». Au moment où il parle d’ajouter de la musique pour Varesi au troisième acte, il ajoute : « si par hasard elle [Caterina Cornaro] ne tombe pas complètement à Naples ». Le soupçon demeure et Gaetano est même prêt à abandonner tout à fait : « Si pourtant ils m’assassinent, Que tombent dans l’abîme livret, partition, avec la république et Chypre ensemble. » Cependant, Donizetti tout de même conscient de la valeur de ce que son inspiration lui a soufflé, poursuit avec un « Pourtant, tu verras qu’un duo entre ténor et basse [baryton]… qu’un quatuor, qu’un air… que… ». Plus loin, on a son avis sur le Finale : «La fin me semble froide et le baryton peut mieux terminer…Toi qui es déjà au fait [car à l’heure où il écrit, Antonio Vasselli sait le résultat], tu pourras savoir si mes soupçons ou mes doutes sont justes.»
Le 11 février 1844, après la première malheureuse, donc, il tente à plus forte raison de dissuader Varesi : « Tu as vu dans les journaux que le sort n’a pas souri à Caterina Cornaro. Quantité de lettres qui me parviennent en expliquent le pourquoi que je ne peux te dire à cause de ma délicatesse : considérons le résultat ! Crois-tu utile pour tes débuts de faire représenter cet opéra dont l’accueil fut malheureux, et de le faire représenter là où une autre musique allemande sur le même sujet [l’opéra de Lachner] fut donnée et ne plut pas ? - Crois-tu que le pays, par vengeance, n’en ferait pas tout autant ? - […] Moi, pour l’affection que je te porte, je dois te faire connaître toutes les objections, tous les risques auxquels l’événement peut t’exposer, je serais très affligé si je ne pouvais te faire briller autant que tu le mérites et que je le voudrais ! Pensesy ; refuse, au besoin et compte sur l’attachement-même de ton ami. - « Il poursuit en déclarant que si Varesi décide enfin de chanter cet opéra, il lui fera des arrangements nécessaires mais ne transigera pas sur un point : « je veux le choix d’une compagnie [de chanteurs] sans doute, et tu sais déjà que c’est ma ferme stipulation. Je t’ai exposé en toute loyauté la situation ; c’est à toi que revient la décision. Réfléchis bien pour non regretter ensuite, réfléchis aux causes, aux ennemis, à l’amitié, à ton honneur avant tout. »
Un an après l’échec, le 9 janvier 1845, il écrit depuis Vienne à Varesi, se montrant toujours catégoriquement opposé à une reprise de Caterina Cornaro : « Non ! Par pitié cher Varesi. La Caterina est un opéra auquel, pour le remonter, je voudrais mettre les mains moi-même. – Il ne s’agit pas de ta Cavatine, il s’agit du Finale ultime où le Roi meurt. Il s’agit d’un duo entre basse et soprano. Les choses sont trop nombreuses… Non ! Par pitié. - Et puis ce n’est pas le genre d’Ivanoff [célèbre ténor du moment], je crois la partie trop basse pour lui en certains endroits. Outre cela, si Ricordi envoie la partition avec les scélérates paroles que la révision [la censure] Napolitaine a substitué, vous ferez rire les chiens. – Non ! Non ! Non ! Si malgré cela vous vous obstinez, vous me ferez grand mal, et vous serez les victimes. »
S’il avait pressenti, on l’a vu, l’accueil négatif réservé à Caterina, il n’avait pas pour autant baissé les bras, comme on a pu le voir également, multipliant les recommandations aux amis ou aux professionnels présents à Naples, afin de respecter dans le détail l’interprétation qu’il concevait pour cet opéra aimé. Malgré tout, rien ne remplace l’œil du maître… et s’il nous est permis une hypothèse, à son absence s’ajoute peut-être une malveillance insoupçonnée de ce caractère si ouvert. Celui qui lui a succédé à la tête de la première charge musicale de Naples, celui en qui Gaetano repose sa confiance, son espérance, lui demandant même de rectifier l’orchestration au besoin, bref Saverio Mercadante, collègue mais néanmoins concurrent, avait peut-être un certain plaisir à voir tomber un opéra de celui qui lui faisait de l’ombre. Bellini disparu, Donizetti recueillait tous les suffrages du public d’Europe et envahissait les saisons lyriques avec bien souvent plusieurs opéras, ce qui était loin d’être le cas pour ceux de Mercadante ! A nous permettre une telle supposition est Mercadante lui-même, dont certaines lettres se réjouissent de l’accueil tiède de Maria de Rudenz, par exemple, tandis que d’autres parlent de Donizetti en des termes si injurieux qu’elles en révèlent plus encore une amère et aveuglante jalousie. Quant à ce que la concurrence de Mercadante pouvait représenter pour Donizetti, c’est lui-même qui nous éclaire sur ce point, dans ce passage d’une lettre destinée à l’ami napolitain Tommaso Persico. Il écrit en effet à Vienne, le 21 janvier 1843 : « J’ai laissé le célèbre P…. À Paris, le mystérieux P…. Qui cherche un logement pour Mercadante —lui écrivant : Je l’ai trouvé si vous voulez, — qui ignore si Mercadante viendra à Paris, qui n’ose pas me dire en face que oui. De misérables mystères que tout le monde sait ! Mercadante doit y venir. Il ne partira certainement pas sans contrat, et honorifique. Il rira des petits mystères, des cancans [en français dans le texte] du pauvre P…. Mercadante n’a pas besoin de se cacher et il rira lui-même d’une semblable sottise [en français dans le texte]. Bien que l’identité du « mystérieux P… », comme il l’écrit (avec une pointe d’ironie) ne nous soit pas révélée, sa conscience professionnelle et sa grandeur d’âme bien connue produisent en lui une sérénité disant assez avec quelle désinvolture il voit arriver Saverio Mercadante dans l’un de ses territoires.
La revanche de Caterina Cornaro
Le succès de la production du Teatro Regio de Parme, le 2 février 1845, mettra du baume au cœur de Gaetano. Les interprètes en seront Marianna BarbieriNini, fameuse future créatrice de la si originale Lady Macbeth verdienne, et les deux chanteurs dont nous avons entendu parler, le ténor Nicola Ivanoff et le baryton Felice Varesi, si désireux de chanter le rôle du roi de Chypre. Dans une lettre viennoise du 9 mars 1845, adressée à l’éditeur napolitain Guglielmo Cottrau, Gaetano s’étonne de voir le public accourant toujours en masse à un opéra aussi triste que son Don Sebastian. Puis après avoir dit qu’il attendait un nouveau livret de Paris, puis s’être montré « curiosissimo » (vraiment curieux) du succès du nouvel opéra de Mercadante⁷ », [⁷Il s’agit probablement de Il Vascello de Gama, créé au teatro S. Carlo, le 6 mars 1845.] déclare en guise de désinvolte conclusion de lettre : « Tu as vu que Cornaro a réussi à Parme ! Que voulais-tu qu’elle fasse à Naples, avec un massacre par la révision [censure] et un autre par les chanteurs ! ». Enfin à son cher Toto Vasselli, il explique, le 27 février 1845 : « La Caterina à Parme m’a fait grand plaisir. Je n’ai jamais été aveugle sur mes productions, et j’ai toujours dit : ce ne sera pas un chef-d’œuvre que la Caterina, mais elle ne méritait pas ce désastre par les chanteurs, ni ces critiques des journalistes parthénopéens. A présent cela me suffit. »
Enfin, un élément plus actuel nous est apporté par Rubino Profeta, spécialiste des révisions d’opéras du XIXe siècle en vue d’une première reprise moderne. Dans le programme de salle du Teatro San Carlo de Naples, pour cette résurrection du 28 mai 1972, il nous fait partager son émouvante découverte : « Celui qui a eu la chance d’examiner attentivement la partition originale de Caterina Cornaro aura pu se rendre compte combien cet opéra a été écrit dans le moins de temps possible, par rapport à tous les autres, et en des moments et lieux disparates, si l’on observe les feuilles éparses, de format et de papier différents, souvent maintenus ensemble par de minces fils de coton. Mais, quel génie dans ces signes hâtivement tracés ; quelle inspiration, quelle imagination en ces lignes, souvent incomplètes, à peine esquissées, mais aussi chargées de force dramatique, aussi riches de pure veine lyrique ! » Il explique ensuite qu’« A la lumière des innombrables imprécisions d’écriture de la partition originale, fidèlement reproduites dans les différentes copies manuscrites devant servir à la préparation du matériel d’orchestre, il y a lieu de croire que l’opéra fut exécuté de manière véritablement effroyable. » Insistons sur l’expression de Rubino Profeta : « addirittura bestiale », (carrément atroce) en sachant que l’adjectif « bestiale » souligne une énormité, voire une atrocité. Il prend comme exemple ce qu’il nomme à juste titre le « très efficace choeur de suivantes » du dernier tableau, portant la mention autographe de Donizetti « erreur de clé », constatant le scrupuleux report de l’annotation donizettienne par les copistes… mais sans que personne n’ait rectifié ladite erreur ! Le réviseur de partition au nom prédestiné (Profeta) conclut son explication d’une réflexion qui nous laisse évidemment pensifs : « Il y a de quoi s’imaginer quelles terribles discordances durent probablement endurer les spectateurs napolitains dans la malheureuse soirée du 12 [en fait c’était le 18] janvier 1844. »
La Reine de Chypre du marquis de Saint-Georges… et ses réécritures
Le livret de Giacomo Sacchèro s’inspire de celui que le marquis Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges écrivit pour Fromental Halévy, La Reine de Chypre, grand-opéra créé à Paris le 22 décembre 1841. Il est curieux de constater cet attrait des années 1840 pour ce sujet, si l’on considère les opéras de Franz Paul Lachner, Catharina Cornaro, Königin von Cypern (Munich, 3 décembre 1841), de Julius Benedict, The Brides of Venice et de Michael William Balfe, The Daughter of St. Mark, respectivement créés à Londres, les 22 avril et 27 novembre 1844, et de Giovanni Pacini, La Regina di Cipro (Turin, 7 février 1846).
Parmi ceux-ci, un seul nous est connu, The Daughter of St. Mark, grâce à un providentiel enregistrement pirate⁸. [⁸Deux microsillons Rare Recorded Editions SRRE 141-2, enregistrés au cours d’une représentation au « College of St Mark and St John of London » en 1973.] Il est ainsi passionnant d’entendre le duo de l’amitié ténor-baryton évoquant vraiment l’atmosphère donizettienne dans le traitement des sentiments… la trouvaille mélodique demeurant moins inspirée, mais néanmoins fort sympathique. Le déroulement suit celui du livret de Caterina Cornaro à quelques différences près, comme la présence à Nicosie du père Andrea Cornaro, et du fait que Catarina et le roi de Chypre ne doivent pas être unis d’un lien trop étroit puisqu’à la fin de l’opéra Lusignano conduit Catarina à son fiancé premier, nommé Adolphe de Courcy et correspondant au Gerardo de Donizetti (dans le livret de Halévy, il s’agit de Gérard de Coucy, devenu Gerardo di Coucy dans celui de Pacini). Il s’en suit un dénouement heureux et la finale de l’opéra est un charmant Rondò chanté par un Catarina jubilant de bonheur.
L’intrigue et la musique de Caterina Cornaro
« quella dolce,
romantica, epica Caterina Cornaro »¹¹
[¹¹L’expression,
convenant exactement
À l’opéra, fut amoureusement inventée par Pietro
Mioli dans l’article « Teseo e Caterina », in :
Musicaaa ! Periodico di cultura musicale
Anno I - Numero 3, Settembre-Dicembre 1995.
http://maren.interfree.it/musica3.pdf ]
L’action du Prologue se déroule à Venise,
Celle des Actes I et II dans l’île de Chypre.
L’époque n’est pas précisée dans le livret, tandis que celui du marquis de SaintGeorges indique l’année 1441. Historiquement, la véritable Caterina Cornaro (1454-1510) arrive dans l’île de Chypre le 1er juin 1469. Le roi Jacques de Lusignan, son époux, décède en 1473 et la reine Caterina résiste aux Vénitiens désireux de mettre la main sur l’île jusqu’en 1489 (l’acte d’abdication date du 26 février et son départ a lieu le 14 mai). Caterina Cornaro règnera désormais sur la cité médiévale d‘Asolo, dans la province de Trévise, où elle devait finir sa vie. Chypre demeurera vénitienne jusqu’à sa conquête par les Turcs en 1571.
PROLOGUE [37’]
Premier tableau [14’30’’] : Une salle dans le palais Cornaro.
Preludio. Quelque accord décidé, une respiration des violoncelles donizettiens soutenant les cors interrogatifs puis la clarinette fait entendre une charmante barcarolle, sur pizzicati des cordes, posant ainsi la couleur locale vénitienne. Lorsque les violons entrent dans la mélodie, ils apportent tout le souffle donizettien de sentimentalisme, de nostalgie romantique ; on la réentend au début du second tableau du prologue. Deux volutes de la clarinette posent comme une interrogation, suivie d‘une plainte de la flûte, reprise par un doute des cors… c’est l’instant magique, on entend le mouvement d’ouverture du lourd rideau de velours du Teatro San Carlo de Naples ! (Dans l’enregistrement de la première reprise moderne de 1972).
Second tableau
[22’30’’] : Une petite pièce dans les
appartements de Caterina. Au fond, la porte d’une pièce secrète¹³. [¹³La notation de : « Au fond, la porte d’une pièce secrète. » est bizarre,
car si la pièce est secrète, pourquoi en voit-on l’entrée ! La lecture du même renseignement dans le
livret français (du marquis de St. Georges) nous éclaire pleinement, l’on
aperçoit ainsi « A droite une chambre secrète fermée par une portière ».
Sachant qu’une « portière » est une tenture recouvrant l’ouverture d’une porte,
celle-ci se trouve ainsi dissimulée par ce qui pourrait être une tapisserie
murale d’ornementation.]
Sur un côté, une porte mène aux appartements, de l’autre côté des fenêtres
donnent sur le canal. Une lampe éclaire la pièce solitaire.
Coro. La voix lointaine des gondoliers parvient dans la pièce : « A présent que l’astre se cache dans la mer », ils aspirent à retrouver leur humble demeure et de serrer les enfants contre leur cœur. La délicieuse barcarolle est celle que nous avons entendue dans le prélude. Scena ed Aria. Caterina ressent avec d’autant plus de tristesse la joie simple des gondoliers, que rien ne lui sourit… Matilde lui apporte une lettre et l’orchestre halète comme pour imager l’anxiété de Caterina se pressant de lire… C’est Gerardo qui lui promet de venir l’arracher « au pouvoir terrible / Du Sénat ». Elle recommande à Matilde que personne ne voie venir Gerardo, et souhaite que les heures défilent vite ! La harpe commence son accompagnement ondoyant, la flûte énonce le motif extatique de la cavatine, portant toute l’espérance et la ferveur de qui attend l’aimé. Donizetti nous charme plus encore dans la conclusion de l’air, de sa magique ferveur mesurée, pour ainsi dire, puisqu’il a le secret de cet enthousiasme maîtrisé, de ces montées de passion toujours élégantes : il fait répéter à Caterina, rêveuse : « Vieni, vieni, non temer », (Viens, ne crains rien), alors que les violons souspirent avec elle, et que la flûte caresse de sa plainte… A peine une brève phrase orchestrale de transition et Caterina se lance dans une cabalette au rythme posé et toujours élégante, malgré le changement de sentiment. A la rêverie succède l’exaltation ardente, Caterina ne souhaite que serrer Gerardo contre elle et lui dire encore qu’elle l’aime. Les joyeux traits de violons et les sourires de la flûte éclairent encore la charmante seconde partie de son air.
Scena e Duetto-Finale primo. Un sombre motif
passe à l’orchestre : Andrea entre, ainsi accueilli par sa fille : « Hélas
! Ici encore, mon père ? ». Le pauvre
homme n’a qu’une prière : « Ne me maudis pas » et lui explique que le Conseil
l’a obligé. Caterina est directe : « Que le ciel / Te juge. » Il poursuit en
lui disant qu’elle ne connaît pas entièrement son malheur… un autre époux, un
roi. Au ferme « Giammai ! » exclamé par Caterina, il touche le sujet sensible :
« Veuxtu perdre Gerardo ? ». Comme sa fille le presse de parler, il lui désigne
quelqu’un qui va lui expliquer et sort. La didascalie signale alors que «
Caterina frémit en se trouvant seule devant Mocenigo. », et son frisson passe à
l’orchestre, grave, avec même une note des cuivres, tandis que les violons
frémissent encore sous les paroles de l’envoyé du « souverain Conseil ».
Mocenigo lui dit comment sauver Gerardo, tout à l’heure, quand il sera là (on
remarque qu’il est au courant de sa venue !), il faudra lui dire qu’elle ne
l’aime plus et aspire à d’ « illustres noces ». Révoltée, Caterina ne peut que
répondre : « Horrible blasphème ! », tandis que Mocenigo réplique : « Et lui
mourra… ». Pour préciser les choses, si l’on peut dire, il ouvre la porte
secrète et dévoile des hommes en armes, prêts à intervenir ! Il se retire ensuite dans la pièce secrète.
Caterina se demande que faire quand elle croit entendre un pas… que l’orchestre
image effectivement avec énergie. Caterina se soutient avec peine, peut-être
plus encore éperdue que soulagée lorsque la flûte éclaire le paysage musical,
précédent l’amoureuse entrée de Gerardo : « Dolce amor mio ! Fuggiamo, o Caterina » (mon doux amour,
fuyons ô Caterina), avec une belle tendresse infinie sur ces mots de « o
Ca-te-ri-na ». En fait celle qu’il appelle avec tant de chaleur est au supplice
: « Que lui dire ? », se demande-t-elle, désespérée. Gerardo commence un bel
arioso passionné dans lequel il fait le tableau des jours heureux qui les
attendent… Caterina sent son cœur consumé par un feu immense, comment lui dire
alors qu’elle ne l’aime plus ! Elle
trouve la force de lâcher un bref « Oublie-moi. » Stupéfait, Gerardo demande «
Ne m’aimes-tu plus ? ». L’instant est dramatique au possible et l’orchestre
image leur agitation… Caterina regarde vers la porte et voit Mocenigo lui
désigner les hommes en armes. Les violons frémissent, les voix ne chantent
plus… puis enfin, Caterina : « Eh bien, je ne t’aime plus ! ». Gerardo ne peut
croire ce qu’il entend et enjoint Caterina à partir avec lui. Sur sa
résistance, il énonce alors sur un accompagnement martelé des cordes en
pizzicato : « Il est donc vrai, cœur mensonger / Qu’un roi t’offre couronne et
amour ? ». Il la supplie de ne pronconcer qu’un mot et son tourment cessera
alors… Caterina défaille presque et trouve encore la force de mentir lorsque
l’ombre menaçante de Mocenigo se montre à nouveau à la porte : « Tout est vrai.
», suffoque-t-elle, éperdue. L’orchestre se déchaîne avec la douleur de
Gerardo. C’est lui qui lance l’impressionnante Stretta finale à la courbe
mélodique riche au point de fusionner douleur, honte, désespoir… Gerardo maudit
le jour où il la vit et l’aima, maudit ces lieux trompeurs où il a cru à son
amour. Sa colère à présent maudit la foi rompue de Caterina, que nuit et jour
elle pèse sur elle ! Si Caterina se
soutient encore, c’est par la pensée d’avoir évidemment provoqué son
indignation extrême, mais d’avoir au moins sauvé « sa vie chérie » ! Il la chasse loin de lui mais ne sait pas que
son cœur n’est pas parjure ! La stretta
comporte un da capo (non exécuté à Naples en 1972) préparé par la demande de
Caterina appelant la pitié de Gerardo, qui la lui refuse… Elle a beau lui dire
: « Tu ne sais pas… », il va partir, pour la détester toujours ! Seuls leurs aigus sont unis et durent
longuement¹⁴,
[¹⁴Un enregistrement pirate de Nice, en 1974, nous laisse entendre la réaction
éberluée d’une dame s’exclamant, après l’interminable aigu de Montserrat
Caballé et de Giacomo Aragall (10 secondes !) : « Oh ?! Pas possible ?! pas possible !!… Ce n’est pas vrai ? Oh non !! jamais… mon Dieu !!! Hé ?!!… - C’est extraordinaire ! Réplique un monsieur, -Oh oui ! répond la
dame, rêveuse, alors que les « Bravi ! », déclinaison italienne de « Bravo »,
éclatent, dans le tumulte d’enthousiasme provoqué par Donizetti et ses grands
serviteurs.] tandis que l’orchestre entame une grande charge
finale, Caterina s’effondre, évanouïe ; le rideau tombe.
Preludio, Scena e Arioso. Après quelques mesures énergiques d’introduction, l’orchestre joue une mélodie enflammée sur un rythme de boléro. « Sei bella, o Cipro ! tu es belle, ô Chypre ! », s’écrie un personnage solitaire sortant de sa sombre réserve : Mocenigo, l’envoyé du terrible Conseil des Dix. Il rêve au soleil baignant toujours l’île, aux vents propices, aux navires étrangers qui lui « versent des trésors » … Ah ! Que n’est-elle sujette « A la Souveraine de la Mer Adriatique »… mais elle va le devenir bientôt : il a, à cet effet, acheté des « gens », déclare-t-il sans plus d’explication. Strozzi (ténor), son homme de main, entre et annonce la présence à Chypre de Gerardo ! Apprenant qu’il est en armes, Mocenigo se demande s’il a la prétention de lutter avec les Vénitiens… Il presse Strozzi de le trouver, et si cela advient, demande celui-ci… Sa réponse est claire : « Tu as poignard et courage », les timbales roulent et il clame avec détermination qu’il ne faut pas croire le lion endormi quand il ne rugit pas et quand le ciel ne mugit pas, la tempête n’en est que plus terrible. Que Strozzi opère en silence, « Et puis que les tourbillons de la mer soient la tombe du traître. » Ils partent.
ACTE PREMIER [53’]
Premier tableau [26’]
: Une place de Nicosie ; sur le côté se
trouve le palais du roi Lusignano, au fond, la mer parsemée de bateaux. Il fait
nuit.
Preludio, Scena e Arioso. Après quelques mesures énergiques d’introduction, l’orchestre joue une mélodie enflammée sur un rythme de boléro. « Sei bella, o Cipro ! tu es belle, ô Chypre ! », s’écrie un personnage solitaire sortant de sa sombre réserve : Mocenigo, l’envoyé du terrible Conseil des Dix. Il rêve au soleil baignant toujours l’île, aux vents propices, aux navires étrangers qui lui « versent des trésors » … Ah ! Que n’est-elle sujette « A la Souveraine de la Mer Adriatique »… mais elle va le devenir bientôt : il a, à cet effet, acheté des « gens », déclare-t-il sans plus d’explication. Strozzi (ténor), son homme de main, entre et annonce la présence à Chypre de Gerardo ! Apprenant qu’il est en armes, Mocenigo se demande s’il a la prétention de lutter avec les Vénitiens… Il presse Strozzi de le trouver, et si cela advient, demande celui-ci… Sa réponse est claire : « Tu as poignard et courage », les timbales roulent et il clame avec détermination qu’il ne faut pas croire le lion endormi quand il ne rugit pas et quand le ciel ne mugit pas, la tempête n’en est que plus terrible. Que Strozzi opère en silence, « Et puis que les tourbillons de la mer soient la tombe du traître. » Ils partent.
« Vois : je pleure,
ne fais pas attention
A mon emportement, je
ne raisonne plus :
Si je fus insensé et
ingrat,
Ni un félon, ni un
lâche je ne suis.
Oh ! Pardonne à un désespéré,
Qui n’a plus raison,
ni cœur.
Le martyre que j’ai
enduré,
Seul le ciel le
connaît. »
Cette dernière phrase, d’un personnage très ému, est également émouvante dans sa musique, pourtant d’une grande simplicité : seuls quelques traits de violon ou la plainte discrète de la flûte soulignent en effet « Il martirio ch’io ho provato / Solamente il ciel lo sa ».
La réponse musicale du roi est pleine de profonde majesté humaine ; il se montre évidemment compréhensif, et au point de lui déclarer que par son mariage, il tomba dans une trahison lui-aussi :
« Si tu pleures, et
te repens,
Je te plains et te
pardonne.
Comme toi, j’ai été
également trahi,
Plus que toi je suis
perdu.
Et celle que je reçus
en pacte
D’alliance et
d’amitié,
Fut l’instrument d’un
méfait,
Qui devra sur moi
retomber. »
(Scena e Stetta finale) Noble, Gerardo déclare n’être pas ingrat et souhaite même au roi de vivre heureux avec celle que ses yeux ont tant pleuré ! Vivre heureux répète le roi, mais ne sait-il pas que le Lion a jeté un regard avide sur sa Terre… La musique joue une marche figurant le passage de la garde lui prouvant le danger. Gerardo doit partir l’orchestre ponctue la détresse du roi mais Gerardo lui déclare : « Sache ô sire que sur tes jours veille un frère », le roi s’en montre touché et quelque peu rasséréné. Ils peuvent se lancer dans une stretta finale à l’allure généreusement noble, joliment chantée à l’unisson sur un rythme binaire affectionné par Donizetti, véritable délice de panache, retouché d’une tendresse chaleureuse un peu naïve et charmante. Sentant justement l’efficacité de sa trouvaille musicale, Donizetti demandait précisément à ses amis sur place à Naples, d’en respecter le tempo : « Je te recommande le Duo de l’acte II des deux hommes moderato mosso et la stretta ». A l’audition de l’enregistrement de la première triomphante reprise moderne, au Teatro San Carlo, en 1972, on a une idée tout à fait exacte de ce merveilleux moderato mosso, idéalement atteint par le chef d’orchestre Carlo Felice Cillario. Est-il nécessaire de préciser que le Maestro Gavazzeni, à la direction « élastique »¹⁵ [¹⁵Ce terme si bien trouvé, en ce qu’il définit exactement la manière du Maestro Gavazzeni, est de Sergio Segalini, l’écrivant dans la revue Opéra international.] par excellence, donne également une belle idée du morceau, dans son enregistrement de 1995, au Teatro Donizetti de Bergame ? … De tels interprètes, interprètent, précisément, la pensée du compositeur écrivant dans une autre lettre, déjà citée également : « que soit faite la plus scrupuleuse attention aux ritardandi, crescend. Accelerand. etc. car de cela naissent les couleurs ; la lumière ; les ombres. ». En cela, le précieux enregistrement de la première reprise moderne nous révèle une Caterina Cornaro toute de couleurs de lumière et d‘ombres.
Le rideau tombe.
Second tableau [26’]
: Le cabinet de la reine ; au fond, la
chambre du roi ; d’un côté, la porte extérieure, de l’autre, un balcon donnant
sur le port.
Preludio e Coro. L’orchestre prélude délicatement puis les cordes se lancent dans l’ondoiement romantique typique, accompagnant l’annonce du motif du choeur (alors que l’on entend, dans le magnifique enregistrement de la première reprise moderne, la machinerie du lourd rideau du Teatro San Carlo, qui s‘ouvre !). Les suivantes de la reine commentent sa tristesse contrastant avec les joyaux qui brillent sur sa couronne. Pourtant, tous attendent son sourire, aimable comme le zéphire d’avril sur les champs… poésie des choeurs de suivantes, spécialité et friandise donizettienne, au charme séducteur et à la grâce chaleureuse envoûtante au possible dont Donizetti possède une secrète source inépuisable !¹⁶ [¹⁶Il faut voir notamment, avec quelle grâce particulière le Maestro Boncompagni aborde ce morceau, déjà élégant et chaleureux au possible ! (Enregistrement Bongiovanni).]
Scena e Romanza. Caterina explique la cause de
sa douleur par les menaces pesant sur son époux, mais lui, dans une phrase
musicale pleine de triste abandon souhaite que le ciel le rappelle : en effet,
rien ne sert de simuler. Il va s’expliquer, alors que la flûte énonce le motif,
sublime, de sa romance. Il déclare savoir la cause des « longues souffrances »
de son épouse qu’il nomme « sublime creatura » ! Caterina a beau lâcher des « Taci ! »,
(Tais-toi !) éperdus, il poursuit : voilà pourquoi il demande au ciel sa
libération et Donizetti place sur ces mots de « perenne libertà » (éternelle
liberté), une poignante montée des violons… La romance s’achève délicatement
unissant le « Libertà » du roi avec le « Pietà ! » de Caterina.
Scena e Duetto. Strozzi annonce la visite d’un
Français mais le roi, l’esprit trop fatigué, laisse Caterina le recevoir. Il
faut entendre quelle phrase désolée et tellement poignante Donizetti place à
l’orchestre accompagnant la douloureuse sortie des époux royaux ! Leur détresse humaine y est contenue tout entière.
Strozzi introduit « l’étranger » en qui il reconnaît Gerardo, se promettant à
part, d’avertir aussitôt Mocenigo. Gerardo est très ému de voir entrer celle
qu’il n’attendait pas. La reine, très digne, le reçoit mais lorsqu’elle lui
demande ce qu’il souhaite, il répond : « De toi, ô reine, plus rien. ». C’est
alors qu’elle le reconnaît ! Gerardo,
d’un élan rempli de douloureuse amertume s’écrie : « Pour moi / Tu n’existes
plus sur la terre ». (Début duo) Les violons dessinent un accompagnement
tourmenté accompagnant le récit de Gerardo. Lorsque son cœur fut lacéré en ce
jour terrible, il courut à Rhodes, revêtant la robe de bure des pénitents pour
se proterner devant l’autel sacré… Caterina émet alors à part une plainte
priant le ciel de ne pas l’abandonner en cet instant critique… Gerardo poursuit
: la Croix sur la poitrine il crut l’oublier, vivre triste et lui pardonner…
C’est alors que Donizetti déploie toute la ferveur dont son génie est capable
sur les paroles « Mais à l’autel, devant Dieu, / Plus je te pleurais et plus je
t’aimais », soulignée par une vague des violoncelles, avec toute la ferveur
donizettienne, tout le pathos chaleureux, passionné, mais toujours mesuré dont
le grand Bergamasque était capable.
Scena e Quartetto-Finale II°.
a)
Scena. Avant de
partir, Gerardo révèle à Caterina qu’un danger menace le roi et son royaume,
qu’il vient donc, en armes, défendre… « Trop tard. », s’exclame un personnage
venant d’entrer : l’ambassadeur Mocenigo !
Gerardo, loin de se laisser démonter, déclare, selon le livret, que le
bon roi est trahi par ce dernier, mais le texte chanté est tout autre : « Par
son œuvre, un lent poison ronge Lusignano. » Mocenigo reconnaît que Venise veut
le retrait du roi… quant à Caterina : « Tu dois régner pour nous ou mourir »,
l’orchestre souligne le ressentiment de la reine d’une énergique phrase
ascendante : le peuple entier se dressera, en armes, pour protéger son roi
! Mocenigo prononce alors ces viles
paroles : « Et moi alors je lui dirai / Que tu es une femme aldultère / Que le
Souverain fut empoisonné par toi », (le livret dit simplement « trahi »),
ignobles arguments tout à fait à sa portée… « Et qui alors te protègera ? Qui ? », s’écrie Mocenigo triomphant ! …
b) Largo concertato del Quartetto. Sur un accompagnement digne, majestueux des cordes répétant le même accord, il promet à Mocenigo, qu’il nomme « vil bourreau ! », de révéler au peuple ses méfaits, l’avertissant : « Celui qui me tue, ô insensé ! / Mourra avant moi ! ». Les autres entrent dans le quatuor avec une phrase musicale pleine de fierté : Gerardo et Caterina accablent Mocenigo, tandis que ce dernier relève encore la tête : à l’annonce de sa mort, le « Lion » rugira et son heure ultime sera aussi celle du roi.
Vengeresse est tardive / Un geste, et de Venise / Eclatera le tonnerre. » Alliant le geste à la parole, il déploie une écharpe devant le balcon et aussitôt un coup de canon retentit. Le roi réplique alors : « Pusique tu le veux / Ce sera la guerre entre nous. / Gardes, je vous le confie. » Accompagnant l’entrée des gardes, une grande phrase ascendante de l’orchestre prépare la Stretta que lance enfin Caterina.
Le roi, Caterina et Gerardo ont
le même texte, vibrant de la détermination de chasser le « Lion couard » de la
terre de Chypre : « Le bras des opprimés est en guerre / Formidable et
vigoureux », quant au Sénat vénitien qui les a trahis, ils le feront maudire de
tous. Mocenigo les raille presque : « Allons !
Que tous les gens / Courent donc au combat mortel, / « Avant que
d’abattre le Lion, / Ta Chypre sera détruite ». Il ne tremble pas pour son
sort, que le roi ose donc le faire mourir, il mourra, mais sera vengé.
Curieusement, aucun livret ne cite de paroles pour le chœur des gardes du roi
que l’on entend pourtant chanter. Musicalement, cette Stretta véhémente,
alternant une phrase ascendante et une phrase descendante, traduit
magnifiquement l’indignation des personnages positifs. Durant la materia di
mezzo préparant la reprise du motif principal, on entend le « négatif »
Mocenigo proférer ses menaces, plus fières, il est vrai, dans le texte, que
dans sa partie chantée, où il semble dépassé, vaincu ! Peu de cadences finales (couronnées par un
retentissant suraigu de Leyla Gencer à Naples !) et aussitôt une
impressionnante charge orchestrale à la Donizetti, avec les traditionnels
accords plaqués conclusifs sur les roulements de timbales dramatiques… Submergé
par un tel Finale électrisant, phénomène courant dans l’opéra italien de
l’époque, le public voit son enthousiasme porté à son comble et n’attend pas la
fin de la charge orchestrale pour applaudir, ce qui procure une émotion de plus
à l’auditeur pourtant conquis d’avance que nous sommes !
Preludio. C’est un motif tumultueux qui ouvre l’acte, ponctué par les appels éperdus des cloches et les lourds coups de canon.
Scena ed Aria. Le gentilhomme accompagnant
déjà Lusignano à son entrée au premier acte, et nommé « cavaliere del re »
(chevalier du roi), entre et plaint sa « malheureuse patrie » voyant la guerre
fondre sur elle. Qui viendra donc au secours d’un roi trahi ? « Moi. » répond une voix, « Toi étranger ! »,
réplique le chevalier. L’autre lui dit de ne pas chercher à savoir qui il est :
un devoir sacré le lie à Lusignano et il est venu prendre sa défense. Amiratif,
le chevalier ne peut que répondre : « Cœur sublime ! ». Gerardo –puisque c’est
lui- explique ensuite qu’il a recueilli à cet effet et mis en armes « Ces
perplexes gens apeurés » qu’il attend en ce lieu. Le chevalier, émerveillé, se
demande s’il entend-là, la vérité !
Gerardo en prend le ciel à témoin et commence la première partie de son
air. Pas d’introduction à la flûte ou à la clarinette l’air commence d’emblée,
les cors bien présents rythment l’air en lui donnant la touche de gravité
voulue par les paroles : « Je ne veux retirer ni opportunités ni honneurs / De
votre imminente ruine : / Un prix me suffit / sauver et rendre joyeuse cette
Reine » … et là Donizetti ne résiste pas à laisser les violoncelles exhaler
leur plainte caressante qu’il affectionne particulièrement. La flûte éclaircit
l’atmosphère pour la belle phrase « Un re tradito, vendetta avrà », (un roi
trahi obtiendra vengeance). Les violoncelles mélancoliques soulignent sa
conclusion quand il déclare retourner ensuite s’ensevelir dans un sombre
cloître. La couleur musicale de l’air rend certes la noblesse de la tâche, mais
également l’émotion de la souffrance pour le personnage, de perdre tout (et une
seconde fois !) en sauvant celle qu’il aime.
Le rideau tombe.
ACTE SECOND [22’]
[Tableau unique] : Le vestibule d’entrée du palais de Lusignano
; au fond, une place de Nicosie. On entend le fracas d’instruments de musique
belliqueux.
Preludio. C’est un motif tumultueux qui ouvre l’acte, ponctué par les appels éperdus des cloches et les lourds coups de canon.
C’est tout l’orchestre, chose
rare chez Donizetti, qui donne le motif de cette splendide cabalette guerrière,
gentiment belliqueuse, moussante de panache romantique flamboyant mais à
l’élégance chaleureuse typiquement donizettienne. « Morte morte ! Fur troppi gl’insulti » : les insultes furent
trop nombreuses, il faut courir briser cette chaîne infâme que le Lion veut
mettre à Chypre.
Il s’agit d’un morceau brillant et impressionnant pour le ténor et qui, à l’audition des enregistrements existants, nous intriguait par sa brièveté. Aussi les questions fusaient-elles dans l’esprit du donizettien. A-ton coupé le da capo ? Ou bien s’agissant-là d’un opéra de la maturité de Donizetti, celui-ci aurait-il, déjà « moderne », anticipé le système de ne faire exécuter une cabalette qu’une seule fois ? … Autant dire que le soir de la grande reprise bergamasque, on attendait le morceau. …Avec une certaine appréhension, il faut le dire, revoyant toujours le Maestro Gavazzeni, deux années plus tôt, répondre à notre question lui demandant pourquoi il coupait la reprise de la cabalette de Severo servant pourtant de Finale d’acte au sublime Poliuto. Nous étions en effet seuls dans sa loge, à présent désertée par un public avide d’approcher les célébrités, aussi bien que par les amateurs sincèrement passionnés. L’atmosphère était empreinte du calme méditatif suivant l’investissement du chef de représentation qui, la pose aristocratique, croisa alors les jambes, alluma une longue et fine cigarette, répondant enfin sans transiger (et à notre grand désarroi) : « È maniera, è maniera ! ». C’est-à-dire, c’est une manière de faire, une habitude de composition et non une conception décidée… De quoi mal augurer pour la cabalette de Gerardo dans Caterina Cornaro ! Cette pensée s’imposait de plus en plus en notre esprit anxieux de voir s’approcher le grand moment… Pietro Ballo, chantant Gerardo à Bergame, commence l’air, mais au moment où la belle phrase principale doit être reprise, voilà qu’il la chante seul, alors que dans tous nos enregistrements le chœur se joignait à lui, augmentant encore la ferveur du passage ! Moment de déroute ! Le Maestro Gavazzeni aurait-il cruellement coupé encore plus que ses collègues ?!… Mais voilà qui est étrange : le choeur intervient maintenant, dans une musique inconnue ! … Oh mais cette musique « circulaire » a une saveur bien connue de materia di mezzo, selon l’expression technique, c’est-à-dire de préparation au da capo… Quelle émotion tout à coup ! … et quelle récompense à notre attente, de découvrir que le choeur reprend ensuite le beau thème principal et le ténor après lui ! On avait enfin plus de musique, non un véritable¹⁷ [¹⁷Donizetti a très bien pu, à ce propos, prévoir une reprise simplifiée comme il le fit parfois dans ses derniers opéras, manière de faire « moderne » et reprise par Mercadante et Verdi.] da capo mais une reprise moins frustrante que la version couramment chantée dans les résurrections des années 70, dont les bandes circulent chez tous les donizettiens. A la conclusion de l’air, on découvrait encore un passage nouveau pour les chœurs et venant ici corser les cadences finales avant l’héroïque aigu tenu et interminable¹⁸ [¹⁸L’ineffable Giacomo Aragall parvient à tenir l’aigu durant l’incroyable durée de dix secondes à Barcelone en 1973, ce qui lui vaut « l’écroulement », comme l’on dit en italien du Gran Teatre del Liceu !] du ténor sur « All’a-armi-i-i-i ! ! ! », véritable anticipation de la conclusion de la cabalette des cabalettes, du fameux Finale III de Il Trovatore « Di quella pira », époustouflant de « verdianité ».
Précisément, parlant de Verdi qui catalisa les espoirs et révoltes du peuple italien désespérant de chasser l’oppresseur autrichien, nous avons avec cette cabalette de Gerardo une belle mise en valeur de mots tels que « La Patria ed il re ! » (La patrie et le roi) que le ténor prononce clairement et à un moment où l’orchestre est plus discret. Un tel passage avait de quoi soulever ces mêmes foules que la musique de Verdi enflamma, comme cela s’était déjà passé du reste avec celle de Donizetti, dans l’air de l’esclave Tamas dans Gemma di Vergy. Malheureusement, Caterina Cornaro fut loin de connaître l’extraordinaire diffusion de sa soeur donizettienne.
Scena ed Aria finale.
Il s’agit d’un morceau brillant et impressionnant pour le ténor et qui, à l’audition des enregistrements existants, nous intriguait par sa brièveté. Aussi les questions fusaient-elles dans l’esprit du donizettien. A-ton coupé le da capo ? Ou bien s’agissant-là d’un opéra de la maturité de Donizetti, celui-ci aurait-il, déjà « moderne », anticipé le système de ne faire exécuter une cabalette qu’une seule fois ? … Autant dire que le soir de la grande reprise bergamasque, on attendait le morceau. …Avec une certaine appréhension, il faut le dire, revoyant toujours le Maestro Gavazzeni, deux années plus tôt, répondre à notre question lui demandant pourquoi il coupait la reprise de la cabalette de Severo servant pourtant de Finale d’acte au sublime Poliuto. Nous étions en effet seuls dans sa loge, à présent désertée par un public avide d’approcher les célébrités, aussi bien que par les amateurs sincèrement passionnés. L’atmosphère était empreinte du calme méditatif suivant l’investissement du chef de représentation qui, la pose aristocratique, croisa alors les jambes, alluma une longue et fine cigarette, répondant enfin sans transiger (et à notre grand désarroi) : « È maniera, è maniera ! ». C’est-à-dire, c’est une manière de faire, une habitude de composition et non une conception décidée… De quoi mal augurer pour la cabalette de Gerardo dans Caterina Cornaro ! Cette pensée s’imposait de plus en plus en notre esprit anxieux de voir s’approcher le grand moment… Pietro Ballo, chantant Gerardo à Bergame, commence l’air, mais au moment où la belle phrase principale doit être reprise, voilà qu’il la chante seul, alors que dans tous nos enregistrements le chœur se joignait à lui, augmentant encore la ferveur du passage ! Moment de déroute ! Le Maestro Gavazzeni aurait-il cruellement coupé encore plus que ses collègues ?!… Mais voilà qui est étrange : le choeur intervient maintenant, dans une musique inconnue ! … Oh mais cette musique « circulaire » a une saveur bien connue de materia di mezzo, selon l’expression technique, c’est-à-dire de préparation au da capo… Quelle émotion tout à coup ! … et quelle récompense à notre attente, de découvrir que le choeur reprend ensuite le beau thème principal et le ténor après lui ! On avait enfin plus de musique, non un véritable¹⁷ [¹⁷Donizetti a très bien pu, à ce propos, prévoir une reprise simplifiée comme il le fit parfois dans ses derniers opéras, manière de faire « moderne » et reprise par Mercadante et Verdi.] da capo mais une reprise moins frustrante que la version couramment chantée dans les résurrections des années 70, dont les bandes circulent chez tous les donizettiens. A la conclusion de l’air, on découvrait encore un passage nouveau pour les chœurs et venant ici corser les cadences finales avant l’héroïque aigu tenu et interminable¹⁸ [¹⁸L’ineffable Giacomo Aragall parvient à tenir l’aigu durant l’incroyable durée de dix secondes à Barcelone en 1973, ce qui lui vaut « l’écroulement », comme l’on dit en italien du Gran Teatre del Liceu !] du ténor sur « All’a-armi-i-i-i ! ! ! », véritable anticipation de la conclusion de la cabalette des cabalettes, du fameux Finale III de Il Trovatore « Di quella pira », époustouflant de « verdianité ».
Précisément, parlant de Verdi qui catalisa les espoirs et révoltes du peuple italien désespérant de chasser l’oppresseur autrichien, nous avons avec cette cabalette de Gerardo une belle mise en valeur de mots tels que « La Patria ed il re ! » (La patrie et le roi) que le ténor prononce clairement et à un moment où l’orchestre est plus discret. Un tel passage avait de quoi soulever ces mêmes foules que la musique de Verdi enflamma, comme cela s’était déjà passé du reste avec celle de Donizetti, dans l’air de l’esclave Tamas dans Gemma di Vergy. Malheureusement, Caterina Cornaro fut loin de connaître l’extraordinaire diffusion de sa soeur donizettienne.
Scena ed Aria finale.
a) Scena. Les trompettes sonnent, anticipant le tumulte de cris et de sang que viennent nous narrer, éperdues, les suivantes de la reine. Caterina survient, préoccupée d’une « douloureuse incertitude » quant à ses troupes. L’orchestre signale que la bataille fait rage, Caterina maudit alors l’ambition impérialiste et souhaite que le ciel ne demande jamais compte à ceux qui l’assumèrent pour un si « vil marché ».
Une cabalette posée, lente,
marquant efficacement la détermination, le courage de la reine reprenant le
sceptre de ce peuple que le roi mourant vient de lui confier.
La musique de l’air met particulièrement en valeur le mot fort de « oppresso-oo-ri », non seulement par détachement des syllabes mais parce qu’il est confié au registre grave extrême du soprano. Cela représente une difficulté supplémentaire certes, mais offre une saisissante accentuation du mot ne pouvant ainsi passer inaperçu. Le rythme change et s’accélère un peu, martelé par les pizzicati insistants des cordes, sous les paroles « A présent que notre sublime rançon / Fut achetée avec le sang d‘un Roi ». C’est alors que le paysage musical s’éclaire par la floraison conjuguée des « bois » de l’orchestre, accompagnant les paroles émouvantes de : « Ô mes gens, liez-vous par un pacte, / Par ce sang, jurez-moi votre loyauté. ». Cette renaissance humaine dans le texte est joliment exprimée également par la musique, car les bois de l’orchestre, la flûte en tête, fleurissent de plus belle autour des mots sacrés que Donizetti, créant la ligne vocale de Caterina, lui fait répéter plusieurs fois : « E giuratemi fè. (Et jurez-moi votre foi. ) ».
« Non plus de
tourments, ô mon peuple ; des prières.
Vous vous êtes
relevés de vos douleurs :
Les justes drapeaux
furent protégés,
Les lâches
oppresseurs furent vaincus,
A présent que notre
sublime rançon
Fut achetée avec le
sang d‘un Roi,
Ô mes gens, liez-vous
par un pacte,
Par ce sang,
jurez-moi votre foi.
Gerardo
Ma dette est
acquittée – Adieu Caterina,
Rhodes et le ciel me
séparent de toi.
Les autres
Nous jurons de
t’obéir, ô Reine :
Nous le jurons sur la
dépouille d’un Roi.
Tous s’inclinent devant la Reine, tandis que le rideau tombe. »
La musique de l’air met particulièrement en valeur le mot fort de « oppresso-oo-ri », non seulement par détachement des syllabes mais parce qu’il est confié au registre grave extrême du soprano. Cela représente une difficulté supplémentaire certes, mais offre une saisissante accentuation du mot ne pouvant ainsi passer inaperçu. Le rythme change et s’accélère un peu, martelé par les pizzicati insistants des cordes, sous les paroles « A présent que notre sublime rançon / Fut achetée avec le sang d‘un Roi ». C’est alors que le paysage musical s’éclaire par la floraison conjuguée des « bois » de l’orchestre, accompagnant les paroles émouvantes de : « Ô mes gens, liez-vous par un pacte, / Par ce sang, jurez-moi votre loyauté. ». Cette renaissance humaine dans le texte est joliment exprimée également par la musique, car les bois de l’orchestre, la flûte en tête, fleurissent de plus belle autour des mots sacrés que Donizetti, créant la ligne vocale de Caterina, lui fait répéter plusieurs fois : « E giuratemi fè. (Et jurez-moi votre foi. ) ».
Le choeur intervient avant le da
capo dans une impressionnante phrase correspondant au grave serment attendu par
la reine. La même majesté grave et poignante revêt jusqu’aux cadences finales
du choeur, auxquelles Donizetti fait habilement alterner la voix de Caterina
répétant le mot « fè » : foi, fidélité. L’orchestre scande ensuite dans le même
ton digne et majestueux tandis que le rideau tombe pour la dernière fois.
Finale nuovo [Parma 1845].
En 1953 était publié un opuscule
de dix-neuf pages intitulé Inediti donizettiani et tiré du numéro de
Juillet/Septembre de la Rivista Musicale Italiana. Natale Gallini y parlait des
modifications dans le Duetto-Finale II° de Maria di Rohan, d’un air de Sancia
di Castiglia existant en trois versions et commençait par le nouveau Finale de
Caterina Cornaro. La partition demeure inchangée durant l’air-prière de
Caterina, jusqu’à sa question, quand les troupes entrent en liesse, de « Et
Lusignano ? ». Au lieu de la calme et lasse entrée du roi, on entend un motif
tourmenté à l’orchestre, le choeur annonce son arrivée : Caterina découvre son
époux blessé, l’orchestre reprend son motif trourmenté. Le roi reconnaît qu’il
est blessé à mort mais déclare qu’ils sont libres ! Caterina demande si Gerardo l’a laissé seul
dans la mêlée… mais Lusignano répond : « Ne le demande pas… / Tourne vers moi
ton regard qui pardonne » et l’orchestre ponctue avec force. Caterina commence
: « Puet-être, il… », le roi poursuit : « Mort à la guerre, il tomba pour moi.
» Caterina relève l’expression : « Ah ! pour toi ? qu’entends-je… », montrant
l’importance pour elle de ce renseignement… La clarinette éclaire l’atmosphère
et commence la romance du roi, différente. « Piangi, si piangi : Pleure, oui,
pleure, ô malheureuse. / Tu as souffert à cause de moi, et beaucoup. ».
Finale nuovo [Parma 1845].
A la plainte haletante d’un
mourant, Donizetti substitue une mélodie¹⁹ [¹⁹Qu’il emprunte avec sagacité au bel ensemble concertant du Finale de
Rosmonda d’Inghilterra.] remplie de
tendresse consolatrice : « Mais tes longs pleurs / Avec mon sang je les ai
expiés. ». Le compositeur accorde du chant à Caterina qui fait presque un duo
de la romance (elle demande au ciel de soutenir l’esprit dolent qui s’élève
vers lui). Lusignano répète et reprend le beau thème berceur de la mélodie, sur
les mots « A te l’estremo anelito, A toi mon dernier souffle. ». La mélodie
s’interrompt, il a le courage d’appeler son épouse, elle l’implore : «
Parle-moi » … Un silence, la clarinette accompagne le dernier soupir du roi…
Caterina constate, chuchotant presque : « Il a expiré ! ».
Comme on le voit, on est loin de la conclusion de l’ancien Finale, positive malgré la mort du roi et unissant les courageuses paroles d’espoir de Caterina aux serments de fidélité de son peuple. Ici, la consternation de ce dernier sert de cadre à l’amertume de Caterina, focalisée sur ce qu’elle a perdu et sur les souffrances qui l’attendent encore.
Musicalement, on peine à croire
que ce nouveau Finale ait pu assurer à lui seul le succès de Parme qui devait
mettre un peu de baume au cœur de Donizetti. La romance de mort du roi est un
moment de tendresse, certes, mais la brièveté dramatique qui s’en suit,
scellant l’histoire au moment de sa catastrophe, confère une force tragique
frappante au nouveau Finale. Moins frappant mais plus spectaculaire, et
peut-être plus émouvant, est le Finale original, avec les personnages relevant
la tête et jurant fidélité à leur reine, déterminée à assurer leur liberté et
leur dignité. La cabalette finale de Caterina touche le spectateur et termine
l’opéra dans la lumière, lui valant plus que jamais le joli commentaire de «
cette douce, romantique, épique Caterina Cornaro » ²⁰. [²⁰ « quella dolce,
romantica, epica Caterina Cornaro », Pietro Mioli, op. cit]
Quel passionné d’opéra, non complètement satisfait par les enregistrements existant d’un ouvrage qu’il affectionne particulièrement, n’a-t-il rêvé de « sa » version idéale, la composant de manière virtuelle, en retenant l’un ou l’autre interprète de chaque version ? Pourtant, le sort s’en mêle parfois et fait que certain théâtre ou studio d’enregistrement ait réuni une distribution parfaite, et comble ainsi d’emblée l’amateur. C’est le cas pour Caterina Cornaro, et dès le réveil de cette belle endormie dans la forêt touffue des œuvres du Maestro Cavaliere Donizetti, comme on disait à l’époque. L’enregistrement nous restant en effet de la première reprise moderne de 1972, luxueuse production du Teatro San Carlo de Naples confirme l’idée de réussite totale. Leyla Gencer est une reine magnifique de noblesse, d’élégance et de sensibilité, mais également de sens dramatique. Elle trouve un fiancé digne et valeureux, fougueux mais généreux, dans le vaillant Giacomo Aragall. Un roi plus royal que Renato Bruson n’existe pas : velouté de timbre et de phrasé, legato superbe… Jusqu’au personnage un peu en retrait du « méchant de service », l’ambassaseur de Venise à Chypre, Mocenigo, bien rendu par le rugueux et implacable Plinio Clabassi, modèle des comprimari. Pour compléter cette distribution vocale idéale, ne manquait qu’un chef d’orchestre laissant respirer la musique, permettant aux mélodies de se déployer dans toute la chaleureuse mais élégante car mesurée poésie donizettienne, et c’est que nous trouvons en la personne de Carlo Felice Cillario. Pour nous combler complètement, pour ainsi dire (et le pléonasme n’est pas de trop !), un écrin somptueux fait reluire ces gemmes, l’ « Orchestra del Teatro di San Carlo di Napoli ». Auguste maison d’opéra longuement aimée et dirigée par Donizetti, aux sonorités idéales —ah ! ces cuivres chaleureux et tellement cuivrés, que Verdi affectionnait tant et ne trouvait qu’en Italie !— pour animer la poésie ou la fougue romantique de l’instrumentation donizettienne. On comprend que l’enregistrement de cette reprise quasi miraculeuse ait prestement fait son entrée parmi la trentaine d’opéras de Donizetti disponibles en disques pirates. La firme M.R.F. s’empara en effet de cette superbe soirée napolitaine, dans un coffret à la belle couverture représentant l’un des plus beaux portraits de la véritable Caterina Cornaro, peint par Le Titien. Accompagnant les disques vinyles, une superbe plaquette, incroyablement enrichie d’une foule de photos, présentait l’œuvre, avec son livret complet en italien et en anglais : une firme officielle n’aurait pas fait mieux.
Bien des reprises successives devinrent enregistrements, comme le montre la liste suivante, offrant à l’évidence d’autres interprètes valeureux, comme la reine diaphane aux pianissimi inégalés de Montserrat Caballé. Et si l’énergie débordante du Maestro Masini « rogne » parfois les ailes à la musique, on retrouve la grande cantatrice catalane chez elle, à Barcelone, idéalement entourée des compagnons de Leyla Gencer à Naples ! L’enregistrement, strictement privé, ne semble pas hélas avoir fait l’objet d’un support diffusé… Comme celui de Nice du reste, où l’on a le plaisir supplémentaire d’entendre les spectateurs ne pas cacher leur émerveillement pour les beautés de… la musique, dont ils ne reviennent pas !
Il faut mentionner d’autre part l’enregistrement de la RAI de Turin pour la belle homogénéité qu’il présente, avec la Caterina toute de fraîcheur et de frémissement délicat de Margherita Rinaldi. On n’attend pas forcément dans le rôle de Gerardo un ténor corsé comme Ottavio Garaventa, mais ce dernier sait plier sa voix chaleureuse au style romantique. Licinio Montefusco d’autre part, dessine un roi à la fois digne et sensible, tandis que le Maestro Boncompagni, porte bien son nom, si l’on peut se permettre le jeu de mots, en ce qu’il se révèle le compagnon idéal des chanteurs mais aussi de donizetti ! L’exécution, restituée dans un son de qualité studio par les efforts de la méritante Casa Bongiovanni, a également le mérite de rouvrir quelques coupures pratiquées lors de la première reprise moderne à Naples.
Homogène également est l’émouvante version enregistrée « chez Donizetti », c’est-à-dire au Teatro Donizetti de Bergame. Un « Grand » de la direction d’opéra, le Maestro Gianandrea Gavazzeni la conduit, donizettien de la première heure, bergamasque comme le compositeur ! Il faut savoir qu’il eut « sous les mains » des personnages aux noms laissant rêveur comme Maria Callas, Beniamino Gigli, Renata Tebaldi, Mario Del Monaco, Franco Corelli… Pour apprécier son art à l’incroyable souplesse (que le Maestro Segalini nommait justement une belle « élasticité » dans Opéra International), il faut évidemment lui pardonner ses innombrables coupures dans la fameuse Anna Bolena de Callas à la Scala, en sachant le point d’interrogation immense planant sur cette reprise que l’on craignait de voir fort mal accueillie par un public ayant oublié le trésor de l’opéra romantique italien.
Les
enregistrements de Caterina Cornaro ²¹ [²¹Nous avons élaboré cette liste en nous aidant de celles
que présentent les les sites Clor : http://www.operadis-opera-discography.org.uk/CLDOCATE.HTM#6
et Operone : http://www.operone.de/opern/catrinacornaro.html]
Quel passionné d’opéra, non complètement satisfait par les enregistrements existant d’un ouvrage qu’il affectionne particulièrement, n’a-t-il rêvé de « sa » version idéale, la composant de manière virtuelle, en retenant l’un ou l’autre interprète de chaque version ? Pourtant, le sort s’en mêle parfois et fait que certain théâtre ou studio d’enregistrement ait réuni une distribution parfaite, et comble ainsi d’emblée l’amateur. C’est le cas pour Caterina Cornaro, et dès le réveil de cette belle endormie dans la forêt touffue des œuvres du Maestro Cavaliere Donizetti, comme on disait à l’époque. L’enregistrement nous restant en effet de la première reprise moderne de 1972, luxueuse production du Teatro San Carlo de Naples confirme l’idée de réussite totale. Leyla Gencer est une reine magnifique de noblesse, d’élégance et de sensibilité, mais également de sens dramatique. Elle trouve un fiancé digne et valeureux, fougueux mais généreux, dans le vaillant Giacomo Aragall. Un roi plus royal que Renato Bruson n’existe pas : velouté de timbre et de phrasé, legato superbe… Jusqu’au personnage un peu en retrait du « méchant de service », l’ambassaseur de Venise à Chypre, Mocenigo, bien rendu par le rugueux et implacable Plinio Clabassi, modèle des comprimari. Pour compléter cette distribution vocale idéale, ne manquait qu’un chef d’orchestre laissant respirer la musique, permettant aux mélodies de se déployer dans toute la chaleureuse mais élégante car mesurée poésie donizettienne, et c’est que nous trouvons en la personne de Carlo Felice Cillario. Pour nous combler complètement, pour ainsi dire (et le pléonasme n’est pas de trop !), un écrin somptueux fait reluire ces gemmes, l’ « Orchestra del Teatro di San Carlo di Napoli ». Auguste maison d’opéra longuement aimée et dirigée par Donizetti, aux sonorités idéales —ah ! ces cuivres chaleureux et tellement cuivrés, que Verdi affectionnait tant et ne trouvait qu’en Italie !— pour animer la poésie ou la fougue romantique de l’instrumentation donizettienne. On comprend que l’enregistrement de cette reprise quasi miraculeuse ait prestement fait son entrée parmi la trentaine d’opéras de Donizetti disponibles en disques pirates. La firme M.R.F. s’empara en effet de cette superbe soirée napolitaine, dans un coffret à la belle couverture représentant l’un des plus beaux portraits de la véritable Caterina Cornaro, peint par Le Titien. Accompagnant les disques vinyles, une superbe plaquette, incroyablement enrichie d’une foule de photos, présentait l’œuvre, avec son livret complet en italien et en anglais : une firme officielle n’aurait pas fait mieux.
Bien des reprises successives devinrent enregistrements, comme le montre la liste suivante, offrant à l’évidence d’autres interprètes valeureux, comme la reine diaphane aux pianissimi inégalés de Montserrat Caballé. Et si l’énergie débordante du Maestro Masini « rogne » parfois les ailes à la musique, on retrouve la grande cantatrice catalane chez elle, à Barcelone, idéalement entourée des compagnons de Leyla Gencer à Naples ! L’enregistrement, strictement privé, ne semble pas hélas avoir fait l’objet d’un support diffusé… Comme celui de Nice du reste, où l’on a le plaisir supplémentaire d’entendre les spectateurs ne pas cacher leur émerveillement pour les beautés de… la musique, dont ils ne reviennent pas !
Il faut mentionner d’autre part l’enregistrement de la RAI de Turin pour la belle homogénéité qu’il présente, avec la Caterina toute de fraîcheur et de frémissement délicat de Margherita Rinaldi. On n’attend pas forcément dans le rôle de Gerardo un ténor corsé comme Ottavio Garaventa, mais ce dernier sait plier sa voix chaleureuse au style romantique. Licinio Montefusco d’autre part, dessine un roi à la fois digne et sensible, tandis que le Maestro Boncompagni, porte bien son nom, si l’on peut se permettre le jeu de mots, en ce qu’il se révèle le compagnon idéal des chanteurs mais aussi de donizetti ! L’exécution, restituée dans un son de qualité studio par les efforts de la méritante Casa Bongiovanni, a également le mérite de rouvrir quelques coupures pratiquées lors de la première reprise moderne à Naples.
Homogène également est l’émouvante version enregistrée « chez Donizetti », c’est-à-dire au Teatro Donizetti de Bergame. Un « Grand » de la direction d’opéra, le Maestro Gianandrea Gavazzeni la conduit, donizettien de la première heure, bergamasque comme le compositeur ! Il faut savoir qu’il eut « sous les mains » des personnages aux noms laissant rêveur comme Maria Callas, Beniamino Gigli, Renata Tebaldi, Mario Del Monaco, Franco Corelli… Pour apprécier son art à l’incroyable souplesse (que le Maestro Segalini nommait justement une belle « élasticité » dans Opéra International), il faut évidemment lui pardonner ses innombrables coupures dans la fameuse Anna Bolena de Callas à la Scala, en sachant le point d’interrogation immense planant sur cette reprise que l’on craignait de voir fort mal accueillie par un public ayant oublié le trésor de l’opéra romantique italien.
Dans Caterina, les coupures sont
peu nombreuses et ne concernent que des reprises… on entend même plus de
musique dans la fougueuse cabalette guerrière de Gerardo, toujours hélas,
terriblement diminuée… Pietro ballo est un Gerardo élégant et chaleureux,
termes convenant également à Stefano Antonucci dans le roi Lusignano. Denia
Mazzola enfin, unit la sensibilité à l’expression dramatique que lui permet son
timbre corsé. Enfin, il reste l’émotion d’un souvenir pour qui était dans la
salle, et que pourra imaginer celui qui ne fait qu’écouter aujourd’hui. Il
avait été décidé que lors d’un entracte, on remettrait à Denia Mazzola le
Premio Donizetti, prix consacrant un interprète ayant particulièreemnt cultivé
les œuvres de l’illustre Enfant de la Ville. Or voici que devant le rideau
rouge et or où l’attendait déjà le Signor Sindaco, le Maire de Bergame, paraît
une Caterina Cornaro éplorée, car Denia Mazzola avait conservé son costume de
scène, en larmes plus que de rigueur pour la circonstance. On apprenait alors
qu’elle se montrait fort inquiète à cause d’un malaise ayant frappé son époux,
le Maestrio Gavazzeni déjà âgé et probablement incommodé par la chaleur.
L’affection du public déborda alors plus encore, le Maestro parut, requinqué,
et Caterina Cornaro triompha chez Celui qui l’avait créée.
On peut se montrer curieux de voir (ou d’entendre !) « Ce que donne », comme l’on dit, un soprano bien connu et ayant interprété un répertoire tout autre, comme Julia Migenes. A propos de cette interprétation globalement insuffisante et même parfois indigne, citons discrètement, rapidement la belle formule italienne (dont la traduction en français ne rend pas…) : « È bello il tacere : il est beau, le fait de se taire ».
On peut se montrer curieux de voir (ou d’entendre !) « Ce que donne », comme l’on dit, un soprano bien connu et ayant interprété un répertoire tout autre, comme Julia Migenes. A propos de cette interprétation globalement insuffisante et même parfois indigne, citons discrètement, rapidement la belle formule italienne (dont la traduction en français ne rend pas…) : « È bello il tacere : il est beau, le fait de se taire ».
Caterina
Cornaro : Leyla Gencer
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Plinio Clabassi
Andrea Cornaro : Luigi Risani
Strozzi : Ferdinando Jacopucci
Matilde : Eva Ruta
Un Cavaliere del re : Claudio Terni
Coro e Orchestra del Teatro di San Carlo di Napoli
Maestro Concertatore e Direttore : Carlo Felice Cillario
Napoli, Teatro di San Carlo, 28 maggio 1972
Morgan Recording
Federation M.R.F. 96-S (2LP)
Unique Opera Records
Corporation UORC 120 (2LP)
Myto 921.53 (2 CD)
Memories HR 4448-9 (2
CD)
Caterina Cornaro : Montserrat Cab
Gerardo : José Carreras
Lusignano : Lorenzo Saccomani
Mocenigo : Maurizio Mazzieri
Andrea Cornaro : Enrique Serra
Strozzi : Neville Williams
Matilde : Eva Ruta
Un Cavaliere del re : Neville Williams
Lusignano : Lorenzo Saccomani
Mocenigo : Maurizio Mazzieri
Andrea Cornaro : Enrique Serra
Strozzi : Neville Williams
Matilde : Eva Ruta
Un Cavaliere del re : Neville Williams
London Symphony Orchestra & London Symphony Chorus /
Chorus of the Royal Opera House Covent Garden ?
Maestro Concertatore e Direttore : Carlo Felice Cillario
London, The Royal Festival Hall, 10 July 1972
Maestro Concertatore e Direttore : Carlo Felice Cillario
London, The Royal Festival Hall, 10 July 1972
MRF 99 (2 LP)
UORC 119 (2 LP)
Foyer CF-2048 (2 CD)
Caterina
Cornaro : Leyla Gencer
Gerardo : Giuseppe Campora
Lusignano : Giuseppe Taddei
Mocenigo : James Morris
Andrea Cornaro : Samuel Ramey
New Jersey Opera Chorus and Orchestra
Maestro Concertatore e Direttore : Alfredo Silipigni
New Jersey Opera Theater, 15 april 1973
Gerardo : Giuseppe Campora
Lusignano : Giuseppe Taddei
Mocenigo : James Morris
Andrea Cornaro : Samuel Ramey
New Jersey Opera Chorus and Orchestra
Maestro Concertatore e Direttore : Alfredo Silipigni
New Jersey Opera Theater, 15 april 1973
On Stage ! 4701 (2
Cd) (live April 1973)
Caterina
Cornaro : Montserrat Caballé
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Ryan Edwards
Mocenigo : Gwynne Howell
Andrea Cornaro : Claude Méloni
Strozzi : Gerard Friedman
Matilde : Odile Pieti
Un Cavaliere del re : Gerard Friedman
Chœurs et Orchestre Lyrique de l'O.R.T.F. (Office de Radio-Télédiffusion française)
Maestro Concertatore e Direttore : Gianfranco Masini
Paris, Salle Playel, 25 novembre 1973
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Ryan Edwards
Mocenigo : Gwynne Howell
Andrea Cornaro : Claude Méloni
Strozzi : Gerard Friedman
Matilde : Odile Pieti
Un Cavaliere del re : Gerard Friedman
Chœurs et Orchestre Lyrique de l'O.R.T.F. (Office de Radio-Télédiffusion française)
Maestro Concertatore e Direttore : Gianfranco Masini
Paris, Salle Playel, 25 novembre 1973
Estro Armonico EA 049
(2 LP)
Rodolphe RP 12474-5
(2 LP)
Rodolphe RPC 32474-5
(2 CD)
Agorá Music 505 (2
CD)
Caterina
Cornaro : Margherita Rinaldi
Gerardo : Ottavio Garaventa
Lusignano : Licinio Montefusco
Mocenigo : Gianni Socci
Andrea Cornaro : Guido Mazzini
Strozzi : Lodovico Malavasi
Matilde : Anna Maria Balboni
Un Cavaliere del re : Marco Vinicio
Orchestra Sinfonica e Coro di Torino, della Radiotelevisione italiana
Maestro Concertatore e Direttore : Elio Boncompagni
Maestro del Coro : Fulvio Angius
Torino, Auditorium della RAI, 30 agosto 1974
(diffusione : 16 novembre 1974)
Gerardo : Ottavio Garaventa
Lusignano : Licinio Montefusco
Mocenigo : Gianni Socci
Andrea Cornaro : Guido Mazzini
Strozzi : Lodovico Malavasi
Matilde : Anna Maria Balboni
Un Cavaliere del re : Marco Vinicio
Orchestra Sinfonica e Coro di Torino, della Radiotelevisione italiana
Maestro Concertatore e Direttore : Elio Boncompagni
Maestro del Coro : Fulvio Angius
Torino, Auditorium della RAI, 30 agosto 1974
(diffusione : 16 novembre 1974)
Bongiovanni BG
2410/11 (2 CD)
Caterina
Cornaro : Montserrat Caballé
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Antonio Borras
Andrea Cornaro : Silvano Pagliuca
Orquestra y Coro del Gran Teatro del Liceu de Barcelona
Maestro Concertatore e Direttore : Carlo Felice Cillario
Barcelona, Gran Teatro del Liceu,
10 novembre 1973
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Antonio Borras
Andrea Cornaro : Silvano Pagliuca
Orquestra y Coro del Gran Teatro del Liceu de Barcelona
Maestro Concertatore e Direttore : Carlo Felice Cillario
Barcelona, Gran Teatro del Liceu,
10 novembre 1973
Enregistrement privé
Caterina
Cornaro : Montserrat Caballé
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Ryan Edwards
Mocenigo : Diego Monjo
Andrea Cornaro : Maurizio Mazzieri
Strozzi : Juan Pons
Matilde : Cathy Cafaxe
Chœurs de l’Opéra de Nice Orchestre philharmonique de Nice-Côte d’Azur Direction musicale : Gianfranco Masini
Nice, Opéra, 11 janvier 1974
Gerardo : Giacomo Aragall
Lusignano : Ryan Edwards
Mocenigo : Diego Monjo
Andrea Cornaro : Maurizio Mazzieri
Strozzi : Juan Pons
Matilde : Cathy Cafaxe
Chœurs de l’Opéra de Nice Orchestre philharmonique de Nice-Côte d’Azur Direction musicale : Gianfranco Masini
Nice, Opéra, 11 janvier 1974
Enregistrement privé
; Weber (2 CD?)
Caterina
Cornaro : Aurea Gómez
Gerardo : Gianfranco Pastine
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Nino Meneghetti
Andrea Cornaro : Omar Brandán
Strozzi : Horacio Mastrango
Matilde : Elisa Brex
Orquesta Estable del Teatro Colón
Maestro Concertatore e Direttore : Maurizio Arena
Buenos Aires, Teatro Colón, 3 settembre 1982 art 2ct 1438 (Bien que l’on associe généralement le nom de Angelès Gulín à cette reprise, le site du Teatro Colón ne mentionne que Aurea Gómez pour toutes les représentations)
Gerardo : Gianfranco Pastine
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Nino Meneghetti
Andrea Cornaro : Omar Brandán
Strozzi : Horacio Mastrango
Matilde : Elisa Brex
Orquesta Estable del Teatro Colón
Maestro Concertatore e Direttore : Maurizio Arena
Buenos Aires, Teatro Colón, 3 settembre 1982 art 2ct 1438 (Bien que l’on associe généralement le nom de Angelès Gulín à cette reprise, le site du Teatro Colón ne mentionne que Aurea Gómez pour toutes les représentations)
Caterina
Cornaro : Martile Rowland
Gerardo : Diego D’Auria
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Carlo Colombara
Andrea Cornaro : Raymond Aceto
Strozzi : Eduardo Valdez
Matilde : Teresa Cincione
Un Cavaliere del re : Jeffrey Prillman
Princeton Pro Musica Chorus Opera Orchestra of New York
Conductor : Eve Queler New York, Carnegie Hall, 13 may 1994
Gerardo : Diego D’Auria
Lusignano : Renato Bruson
Mocenigo : Carlo Colombara
Andrea Cornaro : Raymond Aceto
Strozzi : Eduardo Valdez
Matilde : Teresa Cincione
Un Cavaliere del re : Jeffrey Prillman
Princeton Pro Musica Chorus Opera Orchestra of New York
Conductor : Eve Queler New York, Carnegie Hall, 13 may 1994
Enregistrement privé
Verdi House of Opera (2 CD?)
Caterina
Cornaro : Denia Mazzola Gavazzeni
Gerardo : Pietro Ballo
Lusignano : Stefano Antonucci
Mocenigo : Giorgio Giuseppini
Andrea Cornaro : Marzio Giossi
Strozzi : Renzo Casellato
Matilde : Giuseppina Cortesi
Un Cavaliere del re : Sergio Rocchi
Orchestra « I Pomeriggi Musicali » di Milano Coro del Teatro Donizetti di Bergamo
Maestro Concertatore e Direttore : Gianandrea Gavazzeni
Bergamo, Teatro Donizetti, 21 settembre 1995
Gerardo : Pietro Ballo
Lusignano : Stefano Antonucci
Mocenigo : Giorgio Giuseppini
Andrea Cornaro : Marzio Giossi
Strozzi : Renzo Casellato
Matilde : Giuseppina Cortesi
Un Cavaliere del re : Sergio Rocchi
Orchestra « I Pomeriggi Musicali » di Milano Coro del Teatro Donizetti di Bergamo
Maestro Concertatore e Direttore : Gianandrea Gavazzeni
Bergamo, Teatro Donizetti, 21 settembre 1995
Agora Musica AG 046.2
(2CD)
Caterina
Cornaro : Denia Mazzola Gavazzeni
Gerardo : Andrea Elena
Lusignano : Andrea Martin
Mocenigo : Duccio Dal Monte
Andrea Cornaro : Stefan Tanzer
Strozzi : Jonathan Galliena
Matilde : Kimiko Kamer
Orchester der Kammeroper Bratislava
Dirigent : Marián Vach Wifi Neunkirchen, 17 Oktober 1997
Gerardo : Andrea Elena
Lusignano : Andrea Martin
Mocenigo : Duccio Dal Monte
Andrea Cornaro : Stefan Tanzer
Strozzi : Jonathan Galliena
Matilde : Kimiko Kamer
Orchester der Kammeroper Bratislava
Dirigent : Marián Vach Wifi Neunkirchen, 17 Oktober 1997
Enregistrement privé
Caterina
Cornaro : Julia Migenes
Gerardo : Alan Oke
Lusignano : Jeffrey Carl
Mocenigo : Richard Van Allan
Andrea Cornaro : Glenville Hargreaves
Strozzi : Timothy Evans-Jones
Matilde : Elizabeth Bond
Un Cavaliere del re : Simon Bainbridge
British Youth Opera Orchestra The Vasari Singers (Chorus)
Conductor Richard Bonynge
London, Queen Elizabeth Hall, 28 June 1998
Gerardo : Alan Oke
Lusignano : Jeffrey Carl
Mocenigo : Richard Van Allan
Andrea Cornaro : Glenville Hargreaves
Strozzi : Timothy Evans-Jones
Matilde : Elizabeth Bond
Un Cavaliere del re : Simon Bainbridge
British Youth Opera Orchestra The Vasari Singers (Chorus)
Conductor Richard Bonynge
London, Queen Elizabeth Hall, 28 June 1998
Hellenic Centre
001/002 (2CD)
Caterina Cornaro : Margarita Elia
Gerardo : Yiannos Constantinou
Lusignano : Jeffrey Carl
Mocenigo : Pompeiu Harasteanu
Andrea Cornaro : Damon Nestor Ploumis
Strozzi : Yiannis Christopoulos
Matilde : Elena Papaevripidou
Un Cavaliere del re : Michalis Psiloinis
Limassol Aris choir Cyprus State Orchestra
Conductor : Ayis Ioannides
International Kypria Festival 2004 Nicosia, représenté
devant les remparts vénitiens de « Famagusta Gate Moat » (où les Nicosiens
accueillirent la véritable reine Caterina Cornaro en 147222), les 22, 24, 25,
septembre 2004 Les micros placés à l’avant-scène, visibles dans les photos
publiées sur Internet, laissent à penser qu’un enregistrement devrait exister…
La distribution au Concertgebouw d’Amsterdam de l’exécution du 20 mars 2010, diffusée en direct à 13h. par la radio néerlandaise :
Caterina Cornaro : Nelly Miricioiù
Gerardo : Dario Schmunck
Lusignano : Nicola Alaimo
Mocenigo : Mirco Palazzi
Andrea Cornaro : Károly Szemerédy
Strozzi : Peter Gijsbertsen
Groot Omroepkoor Radio Kamer Filharmonie
Direction musicale : David Parry
Gerardo : Dario Schmunck
Lusignano : Nicola Alaimo
Mocenigo : Mirco Palazzi
Andrea Cornaro : Károly Szemerédy
Strozzi : Peter Gijsbertsen
Groot Omroepkoor Radio Kamer Filharmonie
Direction musicale : David Parry
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COMPLETE RECORDING
1973.04.15
Recording Excerpts [1973.04.15]
Vieni o tu che ognor io
chiamo Prologue Scena V
Va crudel Prologue Scena VIII
Da quel dì che lacerato Act I Scena VIII
Non piu affanni Act II Finale